La dernière fois, je vous avais parlé de l'iridescence et j'avais promis de continuer avec une histoire d'opale. Les opales sont des pierres précieuses que l'on trouve en de nombreux points de la planète : USA, Mexique, Brésil, Éthiopie, Indonésie, Honduras, Slovaquie et surtout Australie qui assure 97% de la production mondiale. Chimiquement, les opales sont des châteaux de sable : de la silice et de l'eau. Ce qui rend les opales précieuses ce sont leurs reflets qui changent de couleur suivant l'angle de vue.
Ceux qui suivent auront reconnu le goniochromisme ou iridescence. Et ceux-là se diront alors naturellement : si il y a iridescence, alors il y a quelque chose qui a la même taille que la longueur d'onde. Qu'est-ce que ça peut bien être ? Pour répondre à ce genre de question, mieux vaut disposer d'un microscope électronique. Le premier géologue australien à disposer ce ce genre d'engin se nommait J. V. Sanders et ce qu'il a découvert aux alentours de 1964 lui a valu plusieurs articles dans Nature et autres journaux prestigieux et lui a assuré sa carrière pour au moins 20 ans.
Les sphères que vous voyez là font quelque centaines de nanomètres (de quoi contenir plusieurs milliards d'atomes). Elles sont faites de silice, tout comme la matrice qui rempli les interstices, mais la composition varie légèrement entre les deux milieux, ce qui permet une légère réflexion à la surface des sphères. Si les billes de silice sont disposées régulièrement (comme sur la photo) alors l'opale agit comme un réseau de miroirs : il y a diffraction de la lumière. Pour peu que les billes aient une taille comparable une longueur d'onde de la lumière visible, on a iridescence.
Alors bien sûr, tout ne se passe pas toujours aussi bien dans la nature : beaucoup d'opales sont juste des tas de billes de tailles différentes sans aucune structure. La lumière est bien diffractée, mais de façon désordonnée. Du coup les longueurs d'ondes se mélangent et la pierre apparaît blanche laiteuse, sans reflet coloré. Ce phénomène est d'ailleurs appelé "opalescence".
Entre parenthèses, le terme "laiteux" n'est pas choisi au hasard. Le lait est composé de gouttelettes de gras en suspension dans l'eau. Ces gouttelettes n'ont pas la même taille, ne sont pas disposées régulièrement et diffractent la lumière dans tous les sens, ce qui donne la couleur blanche de la boisson préférée des cowboys. Votre lait est donc lui aussi opalescent. Fin de la parenthèse.
Formation des billes
La recette de la formation des opales est toujours en débat parmi les géologues. Ce dont on est sûr, c'est qu'il faut de grandes quantités de silice dissoute dans l'eau. Ca peut arriver quand l'eau a érodé du grès par exemple. Quand une partie de cette eau s'évapore, ou que le pH change (sous l'action de microbes par exemple), la silice ne peut plus rester en solution et se condense en petites particules solides. Au fur et à mesure que l'eau s'évapore, d'autres molécules de silice viennent s'ajouter aux particules déjà formées. Comme cette agrégation se fait uniformément de toutes les directions, les particules gardent une forme sphérique.
Si la concentration en silice reste uniforme pendant tout le processus, l'agrégation commence en même temps partout et se poursuit au même rythme partout, du coup toutes les sphères ont la même taille. Depuis les travaux de Stöber en 1968, on sait très bien reproduire cette étape en laboratoire.
Ensuite, les billes de silice en suspension se déposent au fond, ce qui reste d'eau s'évapore et matrice se forme.
Auto-organisation
Là, vous vous dites que j'ai sauté une étape fondamentale. Comment est-ce que les billes s'alignent en une structure parfaite ? Pas toutes seules quand même ? Et bien si, il s'agit là d'un phénomène d'auto-organisation. Si ça peut vous rassurer, c'est totalement contre intuitif et un accord existait dans la communauté scientifique jusque dans les année 50 pour dire qu'il était impossible de former un cristal si les particules (atomes, molécules, ions, etc.) ne s'attirent pas.
Quand une attraction existe, tout est intuitif. Par exemples les molécules d'eau s'attirent entre elles. Elles ont donc tendance à s'aligner pour avoir le plus de voisines possibles (4 dans le cas de l'eau). Au dessus de 0°C les molécules bougent trop, ne restent pas en place et donc aucune structure permanente ne peut exister. Sous 0°C les molécules restent en place, on obtient une structure régulière : la glace. Visualisation en musique :
C'est un peu comme si on dit aux gens d'une foule "tenez-vous par les mains". Assez naturellement, il se forme de longues lignes qui ne peuvent se croiser et qui se retrouvent parallèles. Mais si on dit aux gens "ne vous touchez pas les uns les autres", pour quelle raison aurait-on autre chose qu'une foule informe ? S'il y a peu de monde vous aurez effectivement une foule informe. Mais si les gens sont serrés, comme dans un métro à l'heure de pointe par exemple, ils vont chacun essayer de se placer de façon a avoir le plus de place possible. Si tous les gens font à peu près le même tour de taille, on voit alors apparaître une certaine régularité : presque tout le monde aura 6 voisins car ça permet de maximiser son espace, et du coup la foule sera organisée suivant un réseau hexagonal.
C'est exactement ce qui se passe quand nos billes de silice sédimentent. Ce phénomène d'auto-organisation a été découvert lors des toutes premières simulations informatiques (Adler 1954) à la surprise générale, a été expliqué théoriquement dans les années suivantes et a été reproduit en laboratoire en 1986 par Pusey et van Megen. Leur photo illustrant le phénomène est l'une des seules à avoir été publiée à deux reprises par la revue Nature.
On voit de droite à gauche des suspensions de plus en plus concentrées et de haut en bas l'écoulement du temps. Au début, les suspensions sont homogènes et puis dans les échantillons du milieu on voit apparaître des reflets iridescents qui trahissent la formation des cristaux. Mission accomplie, on a une opale artificielle !
Plusieurs tailles
Il se passe des choses encore plus funky quand on a deux tailles bien précises de billes. Imaginez par exemple qu'une première infiltration d'eau amène des billes de 400 nanomètres dans une fissure, puis, avant que la matrice soit solidifiée une seconde infiltration apporte des billes de 200 nanomètres. Les petites billes vont s'infiltrer entre les grosses et petit à petit, au cours des années ou des siècles, vont trouver la configuration la plus compacte possible. Cette configuration dépend de la taille respective des billes. Dans une opale, on trouve facilement les deux configurations suivantes :
Quand il y a le même nombre de petites billes que grosses.
Quand il y a 13 fois plus de petites que de grosses. Vous remarquerez les traits à la règle et au crayon de papier. Ca c'est de la science old school.
Mais si la matrice se solidifie avant que les petites billes aient le temps de s'insérer entre les grosses, on peut avoir quelque chose comme ça:
On voit bien les grosses billes en haut, toutes de la même taille et pas bien organisées, et les petites billes en bas, toutes de la même taille et bien alignées. Au niveau couleur, on peut obtenir quelque chose comme ça:
Fossile opalisé
Ce qu'il y a d'encore plus funky avec les opales, c'est qu'elles se forment dans les interstices du sol, peu importe ce qui a créé ces interstices. Ainsi on peut avoir des opales en forme de racine, des coquilles d'escargot opalisées
... de fossiles divers, et même un ichtyosaure opalisés. Si ça c'est pas funky !
La prochaine fois on restera dans l'auto-organisation mais ça sera couleur café.