Ces temps-ci, plusieurs médias s'obstinent à donner une raison d'être forte au Bloc québécois, alors que les Québécois ont clairement exprimé leur rejet de ce parti le 2 mai dernier.Il faut sortir de la mentalité souverainiste dogmatique. Même après les dernières élections, de nombreux commentateurs tentent de convaincre la population que la seule voie d'avenir viable pour le Québec repose sur l'accession à la souveraineté. Or, je tiens à rappeler à ces nombreux commentateurs que le principe même du fédéralisme est ouvert à la présence de revendications autonomistes dans une fédération. Maintenir un pays unifié comprenant plusieurs diversités, chacune ayant ses propres aspirations, ses propres visions : tel est le projet de toute fédération. Au Québec, deux référendums ont souligné l'échec du projet souverainiste. Le 2 mai dernier, les Québécois ont clairement choisi une nouvelle voie pour le Québec; celle de la résolution de leurs différends avec le reste du Canada (ROC) par la négociation de compromis. Comme le rappellent explicitement les signataires du Manifeste pour un nouveau mouvement pour le Québec, le Parti québécois voit le Canada comme une source de maux pour le Québec, maux qui ne peuvent être enrayés qu'en faisant l'indépendance. Le 2 mai, les Québécois ont froidement exprimé leur rejet de cette manière de penser. En votant massivement pour le NPD, ils ont envoyé un message clair au Bloc québécois : la vision indépendantiste n'est plus la seule à pouvoir régler les différends entre le Québec et le ROC.Le Bloc québécois devrait sérieusement revoir sa manière d'envisager l'avenir du Québec. Les politiciens qui s'enferment dans leur bulle idéologique et refusent de tirer les leçons des messages que leur envoient les citoyens ont peu de chances de sortir gagnants.Je ne suis pas ici en train de dire que le Québec est désormais condamné à demeurer une province du Canada pour toujours. Je suis plutôt en train de montrer que le projet souverainiste, projet qui voit le Québec accéder à l'indépendance dans un avenir proche, est actuellement en berne. On n'a qu'à regarder la crise de confiance qui sévit au Parti québécois, le fractionnement du mouvement souverainiste, ou encore le programme de Québec solidaire, un parti souverainiste mais qui propose avant tout aux Québécois une façon nouvelle de penser le Québec au sein du Canada, pour comprendre que les modèles péquiste et bloquiste sont dorénavant une option parmi tant d'autres.Aussi, plusieurs médias sèment une confusion typologique des partis politiques. Le Parti québécois est un parti souverainiste (indépendantiste), car son projet politique ultime est de faire l’indépendance du Québec. En revanche, le Bloc québécois ne peut pas être qualifié de parti souverainiste, étant donné que sa place politique sur la scène fédérale canadienne ne lui permettra jamais de mener le Québec à l’indépendance. Comme le rappelle très bien Jean-François Caron, chercheur postdoctoral au Centre de droit public de l'Université libre de Bruxelles et au Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité au Québec de l'UQAM, dans sa lettre d’opinion parue le 19 août dans La Presse, le Bloc québécois a surtout joué le rôle de «courroie de transmission des demandes de l’Assemblée nationale». Ce rôle de courroie de transmission adopté par le Bloc québécois a conféré à ce parti une coloration fédéraliste marquée. Les cas attestant cette teinture fédéraliste sont nombreux. Jean-François Caron nous invite notamment à nous rappeler de la «modification constitutionnelle permettant à la province de Québec de passer des commissions scolaires confessionnelles à des commissions scolaires linguistiques, ou au rapatriement des compétences en matière de formation de la main-d’œuvre durant les années 90».Le Bloc québécois est donc un parti fédéraliste dont l’objectif premier est la représentation des intérêts du Québec à Ottawa. Si cet objectif paraît noble en soi, il en va autrement lorsque l’on place le BQ dans un contexte de politique canadienne. Au Canada, comme dans les autres fédérations, le pays comprend deux piliers étatiques, soit le gouvernement central et les gouvernements des États fédérés. Sur la scène fédérale, les représentants politiques ont un double mandat. En plus d’avoir à représenter les intérêts de leurs circonscriptions respectives, ils doivent également participer aux débats et à l’élaboration des politiques concernant l’ensemble de la fédération. En effet, une fédération où les députés se contentent uniquement de représenter les intérêts des différents États fédérés, sans participer à la politique de l’ensemble de la fédération, est vouée à l’échec et à son démantèlement. Au Canada, le BQ se limite à représenter les intérêts du Québec à Ottawa, sans pour autant participer à la politique canadienne globale. Gilles Duceppe a répété à plusieurs reprises au débat des chefs, en faisant référence à la position politique du BQ à l'endroit des projets de loi du gouvernement fédéral, la phrase suivante : «Si c'est bon pour le Québec, le Bloc vote oui». Or, depuis sa fondation, le BQ a toujours vu le Québec comme une province vouée inévitablement à l'accession à l'indépendance. C'est la raison pour laquelle son fondateur, Lucien Bouchard, voyait le BQ comme un parti temporaire, un parti qui devrait disparaître une fois le Québec souverain. Depuis l'échec du référendum de 1995, la crédibilité du BQ diminue d'année en année. Après la défaite du Parti québécois et l'arrivée au pouvoir du Parti libéral du Québec en 2003, le mouvement souverainiste « traditionnel » s'effrite de plus en plus. Selon une étude menée par la sociologue Claire Durand, à peine plus de 40% des Québécois étaient en faveur de l'indépendance du Québec, en 2005. Cet appui à l'indépendance est en baisse depuis 1995. En revanche, l'appui à la souveraineté-partenariat oscille, depuis le milieu des années 1990, entre 50% et 60%. Comme l'explicite très bien Claude Bariteau, professeur retraité du département d'anthropologie de l'Université Laval, la souveraineté-partenariat «valorise l'égalité d'au moins deux peuples par définition mutuellement désireux de partager un certain nombre de choses en commun: la monnaie, les douanes, l'armée, etc.». À mon avis, une très grande portion de Québécois ont interprété le slogan « travailler ensemble» de l'équipe de Jack Layton comme un appel à la coopération, au partenariat, et au partage d'intérêts mutuels entre le Québec et le reste du Canada. Pour renaître de ses cendres, le Bloc québécois doit, avant de se lancer dans une course à la direction, repenser son rôle sur la scène fédérale. La composition actuelle du Parlement canadien rompt avec celle des dernières législatures. Avec l'anéantissement du Bloc québécois, la dégringolade du Parti libéral, et l'accession du Nouveau Parti démocratique au statut d'opposition officielle, le clivage gouvernement central/autonomie du Québec cède dorénavant sa place au clivage gauche/droite, incarné par le Parti conservateur et le NPD.Au lieu de voir la présente conjoncture politique comme la représentation d'une «lune de miel» entre les Québécois et Jack Layton, le Bloc québécois devrait profiter des quatre prochaines années pour reconsidérer sérieusement ses fondements politiques. Aujourd'hui, le Bloc ne peut plus prétendre parler vérité.