Quand on pianote sur sa boîte mail et qu'on se confie sur sa vie, ses sentiments, en pensant l'adresser à une connaissance perdue de vue depuis dix ans, il est très difficile de cliquer ensuite sur "Envoyer le message". Parc contre, on peut chaque jour venir s'épancher, avouer, révéler, commenter, en enregistrant le texte dans les "Brouillons". Ca ne coûte rien et ça libère d'un poids, paradoxalement. C'est ce qui arrive à notre héros, quarantenaire, vivant avec un fils adorable, traversant non sans douleur une période d'abstinence sexuelle forcée, et pensant à son amour d'antan, une femme à qui il a visiblement beaucoup à dire...Après "Pars mon fils, va au loin et grandis", me voilà replongée dans un des romans vifs et acerbes de Joss Doszen. Un personnage venu d'Afrique, vivant en France aujourd'hui et réfléchissant à sa situation et également un peu celle de ses semblables, préoccupé aussi comme il se doit du sort que lui réserve (ou non) la gente féminine. Régulièrement, à chaque chapitre, le narrateur nous parle de sa vie professionnelle, critique l'émergence inquiétante des pseudo-églises évangélistes autour de lui, se rappelle la sinistre période où il appris qu'il allait devenir père, évoque sa belle amitié avec Titi le toubab et leurs rivalités féminines, raconte ses conquêtes d'un soir, sa solitude. Avec humour très souvent. Jusqu'à ce que les non-mails se fassent plus personnels, révélant au lecteur l'identité de cette femme , destinataire potentielle de mails qui ne seront jamais envoyés. Son courrier électronique devient en réalité son journal intime.
Extrait :"Il y a encore peu je jouais de toutes sortes de tam-tams, sans discrimination de forme, d’âge ou de couleur. Je jouais chaque partie comme si c’était une finale de Champions League et mes partenaires de coït sans cesse me demandaient de revenir à l’ouvrage, jusqu’à être, parfois, obligé de porter l’habit du goujat ultime pour enfin les virer de mon lit. Et là je suis réduit au rôle de passeur. Aujourd’hui les femmes semblent me prendre pour un bac. Celui qui les emmène d’une rive à l’autre, celui qui les emmène dans les abattoirs que sont les chambres de ses potes, et celui qui les ramène chez elles après qu’elles aient enjaillé leurs bangala party. Ça fait trois fois qu'en un mois une petite que je zyeute avec gourmandise me donne l’impression qu’elle aussi est prête à se servir de moi comme intérimaire pour la maintenance de sa libido, et je me suis laissé embobiner comme un bleu."Malheureusement, il y a sur la forme certains aspects de mise en page (des notes de bas de page qui se trouve sur les pages précédentes - pas pratique), de syntaxe, d'erreurs orthographiques qui m'ont gênée (si seulement je pouvais ne pas les voir, je ne demande que ça ;-)), et quelques phrases un peu bancales aussi, qui auraient peut-être gagné à être retravaillées. Dommage parce que le style est vraiment plaisant, entraînant. Et Joss Doszen aborde avec simplicité les préjugés raciaux, les décalages culturels que peuvent vivre les immigrés africains.____(merci à Joss Doszen !)
L'avis de Liss - Liss dans la vallée des livres