En préambule à son roman Tout, tout de suite qui vient tout juste de paraître, Morgan Sportès nous prévient : « En 2006, un citoyen français musulman d’origine ivoirienne a kidnappé et assassiné, dans des conditions particulièrement atroces, un citoyen français de confession juive. J’appelle le premier Yacef, le second Elie. L’un a 25 ans, l’autre 23. J’ai réélaboré ces faits, à travers mon imaginaire, pour en nourrir une création littéraire, une fiction. »
L’auteur est donc très clair, ceci est un roman écrit à partir d’un fait divers réel et si vous ne vous souvenez plus exactement de quelle affaire il s’agit, sachez qu’il s’agit de celle que la presse avait baptisée à l’époque, « le gang des barbares ».
Pour écrire ce livre, Morgan Sportès s’est livré à une véritable contre-enquête, épluchant la presse, interrogeant certains témoins, lisant des documents de source policière etc. Tous ces faits sont la base même de ce récit certifié exact, seuls les dialogues sont de la fiction, la sauce littéraire et le liant qui constitue le roman,la fiction. D’où une avalanche de détails qui ne servent à rien dans le récit mais qui rappellent les rapports de police, comme indiquer le numéro d’une cabine de téléphone public ou préciser qu’une boucherie fait aussi volaille, triperie, charcuterie ! Tous les faits et gestes des protagonistes sont intégralement mentionnés, les noms des rues empruntées, les noms des cybercafés et des commerces où ils entrent.
Tout est épouvantable dans ce drame car tout est nul. Si le terme « gang des barbares » sonne bien et a fait de beaux titres de presse, il ne correspond pas à la réalité car il n’y a pas de gang. Yacef est un tocard de banlieue avec une grande gueule - mais qui bégaye sous le coup de l’émotion - qui a réussi, grâce à un séjour en prison, à se faire une réputation de petit caïd et se créer une petite cour de plus minables que lui. A peine libéré, « c’est à la société qu’il déclare la guerre. Il veut du fric, vite. » Les barres HLM, les caves et les halls d’immeubles investis pour des trafics en tous genres, les jeunes en sweat-shirts à capuche, le chômage, l’immigration, l’échec scolaire, l’exclusion sociale etc. tel est le décor sordide et connu de cette histoire horrible.
La bêtise crasse de Yacef laisse pantois et effraie car elle défie les raisonnements logiques. Si la brute enlève Elie, la victime est choisie au hasard, c’est tout simplement parce que juif, il est sensé avoir de l’argent et qu’une rançon pourra être demandée. Sauf que Elie n’est pas d’une famille fortunée. Le montant de cette rançon fluctuera à la baisse au fil des trois semaines que durera cet enlèvement.
Le roman fait plus de 370 pages, mais il se lit à une vitesse hallucinante car le style est sec fait de phrases courtes alignant les faits les uns après les autres, froidement. On connaît la fin puisqu’elle est connue, pourtant on ne peut se retenir de dévorer l’ouvrage pour en venir à bout et être bien certain que Yacef va se faire coffrer. Un thriller sans suspense final mais tout aussi prenant.
Morgan Sportès ne donne jamais son avis, seules quelques phrases nous interrogent, la tactique policière pour retrouver Elie était-elle la bonne, demande le père de la victime tout en rendant hommage aux membres de la Crim’ qui ont « travaillé comme des fous », ce « monstre » comme d’autres du même tonneau n’arrive pas de Mars, il est issu de notre société, qu’elles sont les raisons et les causes d’une telle furie ? La question n’est pas nouvelle, des réponses – incomplètes peut-être - ont été fournies mais que faisons-nous pour que cela change ?
Un livre coup de poing, à lire bien évidemment.
« Honnête voyou, Krack, alias Grand Black, ne songe qu’à gagner malhonnêtement son pain. Yacef, « qui mélange tout », foi, politique, finance, participe, comme le dit la formule célèbre, de ce « socialisme des imbéciles : l’antisémitisme ». Le « Juif » incarnant à ses yeux le Capital, devient symbole du monde qui l’oppresse. C’est qu’il n’a pas les instruments intellectuels qui lui permettraient de comprendre ce qui, dans le monde spectaculaire qui est le nôtre, l’opprime en effet. »
Pour aller plus loin, une interview de Morgan Sportès sur le site de Marianne