Disons-le tout de suite, The Future n’est pas un film facile d’accès.
C’est une oeuvre singulière, amère et mélancolique, à l’action rare et au rythme lent. Pas franchement le genre de film à conseiller aux dépressifs ou à ceux qui ne vont au cinéma que pour se divertir.
On voit même venir les mauvaises langues, qui vont ironiser sur le nom du producteur, “Razor film”, bien trouvé pour un film “barbant”…
Mais n’en déplaise à ces ricaneurs, ce rythme lent, cette ambiance particulière cafardeuse et monotone ne correspondent pas à des ratés de mise en scène. Au contraire, tout a été parfaitement pensé pour coller au sujet et aux états d’âme des personnages principaux, Sophie et Jason, et du narrateur, Paw Paw, le chat qu’ils sont sur le point d’adopter et qui les attend patiemment. The Future est un film sur l’attente – l’attente d’une vie meilleure, l’attente d’un événement qui permettrait aux personnages d’aller de l’avant, l’attente de quelque chose d’indéfinissable qui leur manque. C’est aussi un film sur l’ennui qui accompagne cette interminable attente.
Et c’est encore une oeuvre sur le temps qui défile – trop vite – et ses ravages, sur le caractère éphémère des choses et des êtres, sur la solitude et le besoin d’être aimé…
C’est sûr que ce n’est pas un film très gai, la cinéaste instillant un certain malaise sous le vernis de cette comédie sentimentale indie.
La première scène donne le ton. Les deux personnages sont assis l’un à côté de l’autre sur le canapé de leur salon, dans leur petit appartement de Los Angeles. Ils ne se regardent pas, chacun ayant le nez rivé sur leur ordinateur portable. Jason est en train de travailler – il fait partie de la hotline d’une société informatique. Sophie observe sur youtube, mi-effarée mi-jalouse la “performance” d’une de ses collègues qui s’est filmée en train de danser seule chez elle. Elle demande un verre d’eau à son compagnon qui la rembarre gentiment. Elle dit qu’il serait bien de pouvoir se servir ce verre d’eau juste par la force de la pensée. Il se moque d’elle, un rien hautain et sarcastique “Quel manque d’imagination.Tu voudrais réaliser par la pensée quelque chose que tu peux accomplir avec ta main…”. Pas très galant, ce garçon…
On sent que quelque chose cloche dans ce couple, qu’il n’y a pas (ou plus) de passion entre cet homme et cette femme. Oh, bien sûr, ils semblent aimer la compagnie l’un de l’autre. Ils sont ensemble depuis quatre ans et partagent de petits moments de complicité. Ils ont même “leur” chanson, un signal qui leur permettrait de se rappeler leur lien amoureux si l’un d’entre eux était soudain frappé d’amnésie. Mais ils sont distants, comme déconnectés l’un de l’autre alors qu’ils sont connectés avec le reste du monde via internet et les réseaux sociaux…
On peut voir cela comme le symptôme d’une époque où le virtuel prend le pas sur l’humain. Ou plus simplement, comme l’usure normale d’un couple confronté à la routine, la monotonie du quotidien…
Certains couples s’en sortent en se mariant, histoire de se réaffirmer leur amour, d’autres en ayant des enfants, en fondant une famille…
Sophie et Jason, eux, décident d’adopter un… chat.
L’animal s’appelle Paw Paw. C’est un chat errant qui a toujours vécu seul dans la rue et n’a jamais reçu d’affection.
La pauvre bête est mal en point, la patte cassée et le poil en bataille, souffrant de sous-alimentation et de graves problèmes rénaux, sans compter ce vide affectif à combler d’urgence. Espérance de vie, selon les vétos : 6 mois…
Le couple décide de l’adopter et de lui rendre la vie plus belle le temps de ces quelques semaines qui lui restent à vivre.
Six mois, c’est bien. Ca n’engage pas sur du long terme et doit permettre au couple de vérifier s’il est apte à s’occuper d’un petit être vivant, en attendant, peut-être, sans doute, de concevoir ou d’adopter un enfant…
Mais au moment de récupérer l’animal au refuge de la SPA, Sophie et Jason sont confrontés à deux imprévus.
D’une part, ils ne peuvent pas récupérer Paw Paw avant un mois, le temps de lui donner quelques soins supplémentaires et de régler les formalités administratives. D’autre part, on leur annonce que le félin, s’il est bien traité et bien soigné, peut encore vivre cinq ans au lieu des six mois annoncés.
Le couple de trentenaires fait ses calculs : dans cinq ans, ils auront quarante ans… Autant dire, presque 50 et aux portes du troisième âge. Ils seront trop vieux pour profiter de la vie, n’auront plus l’énergie pour faire ce qu’ils ont envie de faire…
Pourtant, hors de question de revenir en arrière, tout comme ils excluent de ne pas apporter tous les soins nécessaires au bien-être de ce pauvre chat. Ils assumeront, voilà tout.
Il leur reste un mois de liberté, 30 jours pour profiter de la vie et réaliser leurs rêves…
Sur un coup de tête, le couple décide de jouer le jeu, d’exploiter à fond ces 30 jours pour ne pas avoir de regrets par la suite. Sophie et Jason démissionnent de leurs jobs respectifs, décidés à regarder le monde d’un oeil neuf.
On pense alors qu’ils vont en profiter pour se retrouver, partir en amoureux quelque part, voyager…
Mais non… Toujours sur un coup de tête, Jason accepte un nouveau boulot : démarcheur pour “tree by tree”, une association écologiste qui milite contre le réchauffement climatique en vendant des arbres aux citoyens de L.A.
Le voilà de nouveau occupé pour de longues journées, sans trouver pour autant l’épanouissement personnel qu’il recherchait. Los Angeles est une grande ville et les particuliers démarchés ne sont pas toujours accueillants…
Sophie, elle, se retrouve toute seule à la maison, avec encore plus de temps pour regarder les vidéos ridicules de filles qui dansent seules devant leur webcam dans l’espoir secret d’être admirées par des centaines ou des milliers d’anonymes sur la toile. Tout en haïssant cette démarche solitaire pathétique, Sophie aimerait bien, elle aussi, réaliser ce genre de vidéos. Elle est une artiste frustrée, qui rêvait probablement d’être une danseuse reconnue, mais a fini comme prof à temps partiel, donnant des cours de danse à des mioches qui s’en moquent royalement en échange d’un maigre salaire.
Elle ambitionnait mieux…
Aussi, elle décide de mettre à profit ces trente jours pour réaliser un chef d’oeuvre : une chorégraphie par jour mise en ligne sur le net. Las, elle n’arrive pas à trouver l’inspiration. Pas d’énergie, pas de “feu sacré”…
Elle coupe internet pour s’obliger à se concentrer, mais le résultat n’est guère mieux… Et le soir, privés de leurs joujoux high-tech, Jason et elle se retrouvent en tête-à-tête, obligés de se parler vraiment. Et le vide est saisissant…
Alors forcément, quand Sophie rencontre un homme veuf ou divorcé plus prévenant, plus charnel, plus à l’écoute que Jason, elle se laisse séduire… Ces trente jours étaient une opportunité pour explorer d’autres voies et Sophie est allée plus loin que prévu. Quand elle annonce à Jason qu’elle quitte le domicile conjugal pour aller vivre avec son amant, il accuse le coup et tente le tout pour le tout. Il essaie d’arrêter le temps pour retenir celle qu’il aime (vraiment?) à ses côtés…
Le film prend alors une tournure originale, entre science-fiction et onirisme. Elle entrevoit sa vie future auprès de son nouveau conjoint. Il déambule dans un monde où le temps est arrêté, demande conseil à la lune… Et pendant ce temps, le chat Paw Paw attend ses futurs maîtres. Une attente interminable, où l’ennui est atténué par la perspective d’un avenir radieux…
L’espoir.
C’est tout ce qu’il reste aux protagonistes. Et encore…
Jason s’accroche, mais son combat n’est-il pas perdu d’avance?
C’est un peu comme son engagement auprès de l’association écologiste. Il est persuadé qu’il est déjà trop tard pour agir, que le mal est fait et que rien ne pourra empêcher le climat de se dérégler.
“Pourquoi continuez-vous, si vous pensez qu’il n’y a plus rien à faire?” lui demande un des types qu’il s’échine à démarcher. Jason n’en sait rien en fait. Il tente le coup parce que cela lui semble juste, et parce qu’ainsi, il a l’impression d’agir, même si c’est en vain.
Paradoxalement, c’est au moment où il est le plus sincère, avouant la vacuité de sa démarche, qu’il est le plus convaincant. Son client potentiel, d’abord hostile à ce VRP écologiste, écoute avec attention son petit laïus plutôt que de lui claquer la porte au nez. Mais, cruelle ironie, le résultat reste le même : l’homme refuse catégoriquement d’acheter les arbres proposés… Et il laisse Jason seul avec ses doutes – ou plutôt la certitude que ses démarches sont vouées à l’échec, et que le renoncement est la meilleure option…
Oui, le constat dressé par le film est cruel : tout est perdu d’avance.
L’amour est fragile, éphémère, volatil. Le monde part à vau-l’eau, déshumanisé, soumis aux aléas de la finance, entraîné dans une spirale destructrice, menacé de disparition. Et de toute façon, les êtres vivants sont tous mortels. A plus ou moins brève échéance, ils sont condamnés à disparaître…
Le temps fait des ravages. On vieillit très vite, on perd ses illusions, on se rend compte qu’on n’a pas réalisé ses rêves d’enfant, et que de toute façon, l’enfance est loin derrière nous. On peut perdre un être aimé, on peut mourir à tout moment… L’homme est dérisoire face à la nature, face aux éléments, à l’espace, au temps, à l’infini…
Pessimiste, Miranda July?
On pourrait le penser, devant cette oeuvre assez noire et désespérée. Mais deux choses viennent (un peu) l’adoucir.
Une fin ouverte que le spectateur est libre d’interpréter, au choix, comme une seconde chance pour le couple ou, au contraire, sa désintégration définitive.
Et surtout, lueur d’espoir dans les ténèbres, la pensée que l’amour reçu, même fugace, même infime, suffit à illuminer une vie, à permettre d’attendre d’une disparition qui n’et peut-être qu’un nouveau départ… C’est d’un chat philosophe que viendra cette consolation, au terme d’une séquence bouleversante, qui nous hantera probablement longtemps…
On sort de The Future avec un goût de cendres dans la bouche, secoué psychologiquement, empli d’une profonde mélancolie… Une sensation qui tranche avec la tonalité que Miranda July imprime à son film, une sorte de poésie lunaire, et ce mélange de fantaisie et de gravité qui faisaient le prix de son premier long-métrage, Moi, toi et tous les autres.
Ce film amuse, intrigue puis émeut, met mal à l’aise et subjugue en même temps, par la beauté de certains plans, suscite l’ennui et fascine tour à tour.
Il est clair qu’une telle curiosité ne peut pas plaire à tout le monde.
Néanmoins, il convient de louer l’audace de la cinéaste qui, plutôt que de s’appuyer sur la relative notoriété de son premier film, caméra d’or à Cannes en 2005, a pris son temps pour explorer d’autres voies artistiques et concocter cette oeuvre étrange et profondément amère. Et il convient aussi de reconnaître une bonne fois pour toute son talent de réalisatrice, qui nous saute au visage à chaque séquence…
Tant que des artistes comme Miranda July auront l’opportunité de réaliser leurs films, sans pression ni censure, on pourra se dire que le futur est plein de belles promesses…
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The Future
Réalisatrice : Miranda July
Avec : Miranda July, Hamish Linklater, David Warshofsky, Isabella Acres, Joe Putterlik
Origine : Etats-Unis, Allemagne
Genre : Amour et espace-temps
Durée : 1h31
Date de sortie France : 17/08/2011
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Le Monde