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« Nous sommes en Grande-Bretagne, une bande de jeunes défonce une vitrine, la pille, s’enfuit dans la nuit et se réfugie dans le jardin botanique pour se partager le butin. Les jeunes se dispersent, la police en rattrape quelques uns et les met au trou.
Non, je ne parle pas d’un épisode survenu ces jours-ci. Et je ne dis pas que les jeunes arrêtés sont des casseurs sous-prolétaires. Non, cet épisode a eu lieu il y a 24 ans, en 1987, à Oxford et les 10 jeunes gens étaient tous membres du Bullington Club, une association étudiante oxfordienne de 150 ans d’âge, fameuse pour ses frasques estudiantines, ses cuites et pour considérer le vandalisme des boutiques et restaurants comme le fin du fin de la distraction. Restaurateurs, commerçants et dénonciations à la police, tout est remis en ordre avec quelques généreuses indemnisations qu’on va puiser dans les grassouillets portefeuilles paternels. Quelques heures plus tôt, les dix jeunes gaillards s’étaient fait tirer le portrait sur les marches d’un grand escalier, tous en uniforme du club, habit de soirée à 1.000 livres sterling (1.150 euros) pièce. Émergent du groupe un jeune du nom de David Cameron et un autre, tout aussi imberbe, Boris Johnson. A lire le Daily Mirror du 6 mai 2010 (en photo), l’exercice favori des deux copains, Cameron et Johnson, était tout simplement de manger au restaurant, faire un scandale, foutre le bordel, casser la vaisselle et se barrer sans payer.
Il se trouve qu’aujourd’hui ce même Cameron est premier ministre conservateur de Grande-Bretagne et Boris Johnson maire conservateur du Grand Londres. Et que l’un comme l’autre tonne contre les vandales qui détruisent les propriétés privées. Que l’un et l’autre invoquent la ligne dure, la main de fer. Cameron veut avoir recours à l’armée et censurer les réseaux sociaux. Johnson veut augmenter les effectifs de police. Sans même la moindre compréhension pour qui ne fait rien d’autre, dans le fond, qu’émuler leur geste d’autrefois.
Mais évidemment, c’est justement le propre de la mentalité d’un fils à papa de considérer que les autres ne peuvent pas, et ne doivent pas, se permettre ce qu’on lui a permis, à lui, par droit de naissance et d’extraction sociale. Les fauteurs de troubles de la semaine passée se sont comportés de la même façon que David Cameron lorsqu’il était plus jeune et de la même façon que continuent à se comporter les universitaires d’Oxford ou de Cambridge à chaque fin d’année scolaire.
Le vandalisme perpétré durant les quatre nuits d’émeutes de la semaine passée peut, aux yeux de certains, paraître disproportionné mais peut tout aussi bien trouver ses racines dans le profond malaise social ambiant aggravé par la politique menée depuis le retour des conservateurs au pouvoir. David Cameron et son club d’endimanchés en nœud-papillon se sont livrés, eux, à des actes gratuits, histoire de se distraire.
David Cameron qui incrimine les « réseaux sociaux » et la téléphonie mobile (notamment les « Blackberry ») a déclaré vouloir interdire l’usage de ces moyens de communication et faire appel à l’armée. Il se rapprocherait ainsi du sémillant régime iranien de Mahmoud Ahmadinejad, du chaleureux dirigeant chinois Hu Jintao et, pour évoquer ceux qui ont fraîchement été déboulonnés avec l’aide des dits réseaux d’échanges d’informations, des si sympathiques leaders charismatiques d’Egypte (Hosni Moubarak) et de Tunisie (Ben Ali).
Si les mesures proposées par David Cameron et Boris Johnson venaient à être votées par la Chambre des Communes, il est fort à parier qu’elles ne s’appliqueraient pas aux étudiants d’Oxford ou de Cambridge qui, eux, pourraient tranquillement continuer à casser des vitrines pour s’amuser.
Alain Lefeez