J’aurais pu faire partie de la génération Harry Potter. Ces garçons et ces filles devenus hommes et femmes au rythme de la lecture des romans de J.K. Rowling, transis d’admiration et dégustant chaque ligne lue, chaque plan vu à l’écran lorsque Hollywood s’est emparé du sorcier à la cicatrice. J’aurais pu, et je me demande même comment j’ai pu y échapper. Lorsque le premier ouvrage de Rowling est paru, je n’étais pas encore un adulte, et cette future saga était clairement ciblée pour ma génération, ou celle d’en-dessous.
J’étais un lecteur avide à l’époque, un peu plus qu’aujourd’hui, mais Harry Potter n’est jamais tombé entre mes mains, et au lieu de cela, je l’ai découvert au cinéma en décembre 2001. C’était certainement trop tard. Aujourd’hui, je viens de tourner ma page Harry Potter en allant voir le dernier film de la série, la seconde partie de Harry Potter et les Reliques de la Mort. Ave ce film c’est une saga cinématographique de dix ans et huit films qui se ferme, et contre toute attente, c’est un évènement à mes yeux aussi, ceux d’un non-fan.
J’ai découvert Harry Potter avec les films de Chris Colombus, soit deux films, Harry Potter à l’école des sorciers et Harry Potter et la Chambre des secrets, qui m’ont tout de suite paru trop enfantins. Ce n’est pas un défaut en soi puisqu’après tout, le film et le héros s’adressaient clairement plus aux 10 – 12 ans qu’au mec de 20 ans que j’étais alors. Celui-ci rêvait plus de la tant attendue transposition sur grand écran de la trilogie Le seigneur des anneaux de Tolkien que des aventures du sorcier taille enfant, qui plus est par le réalisateur des Maman j’ai raté l’avion (que j'adorais enfant, mais ce n'est pas la question) quand en face, c’était Peter Jackson qui se chargeait de donner vie aux écrits de Tolkien.
Mon histoire avec Harry Potter est partie de cette rivalité, ou du moins de cette comparaison avec l’autre saga en devenir dont le premier film sortait à Noël 2001. Harry Potter ne pouvait pas tenir la comparaison face à Aragorn, Gandalf et le Mordor. Je n’ai pas aimé Harry Potter à l’école des sorciers, tout comme je n’ai pas aimé un an plus tard Harry Potter et la chambre des secrets. Habituellement je ne donne pas plus de chances à une saga cinématographique dont les deux premiers épisodes m’ont lassé, comme ça a été le cas avec Pirates des Caraïbes quelques années plus tard. Si je suis allé voir le dernier film de la saga Harry Potter ce soir, c’est parce que sept ans plus tôt, les producteurs ont fait un choix radical qui m’a plu. Pour remplacer derrière la caméra Chris Colombus parti vaquer à d’autres occupations (ne me demander pas lesquelles), ils ont engagé Alfonso Cuaron, qui venait de réaliser Y tu mama también.
Après les deux films pour gamins qui avaient fait office d’entrée en matière pour Harry Potter, je ne m’imaginais pas le cinéaste mexicain cadrer dans cet univers. La curiosité l’a donc emporté et m’a conduit devant Le Prisonnier d’Azkaban, la dernière chance en salles. C’est ce film qui a charpenté mon appréciation de la saga Harry Potter. Quelque chose a pris forme grâce au film de Cuaron. Tout à coup, il y avait du potentiel dans cette saga fantastique, entre une histoire qui se faisait plus ambitieuse, permettant au scénario de tisser des méandres temporels absents jusqu’ici, et des personnages ambigus naviguant entre l’ombre et la lumière (qui plus est interprétés par des comédiens du calibre de Gary Oldman et David Thewlis). Avec Le Prisonnier d’Azkaban, Harry Potter m’a intrigué et emballé. Enfin.
C’est parce que je sais depuis ce film que Harry Potter a les moyens d’offrir du bon cinéma que je les ai tous vus en salles. Mon histoire avec la saga s’est écrite en dent de scie, de la fatigue des débuts aux promesses contrebalancées par des déceptions ou des fadaises. J’ai espéré que chaque film serait du niveau du Prisonnier d’Azkaban. Si j’avais lu les romans de J.K. Rowling, peut-être aurais-je été moins pointilleux, plus aveuglé par la passion, plus influencé par les mots de l’auteur. Mais il n’est pas besoin d’avoir lu les livres pour être séduit ou non par les longs-métrages, et pour juger de leurs qualités purement cinématographiques. En filigrane, peut-être est-il même plus facile de voir les défauts d’adaptation que si l’on avait lu les livres.
Il m’aura tout de même fallu attendre cinq ans et le sixième film, Harry Potter et le Prince de Sang Mêlé, pour retrouver la qualité du troisième volet. Je commençais à désespérer, et à croire que la saga Harry Potter se résumerait finalement à un seul film de grande qualité. Entre temps, après un essai oublié de Mike Newell, David Yates s’était définitivement approprié le poste de réalisateur, une position qu’il justifierait pleinement avec Le Prince de Sang Mêlé. Visuellement, il s’agit du plus beau film de toute la saga. Un univers fort, une photographie somptueuse (du français Bruno Delbonnel, au passage). Mais si tout à coup, Harry Potter redevenait une série cinématographique passionnante, c’était parce qu’elle plaçait enfin en son cœur le meilleur personnage de la saga : Severus Snape, campé par l’immense Alan Rickman.
Absent ou presque de l’inepte première partie de Harry Potter et les reliques de la mort, Rickman et son air sombre se devait d’être une des grandes figures du dernier film. Il l’est. Ce dernier film n’est peut-être pas au niveau d’Azkaban ou du Prince de Sang-Mêlé, la faute à ce découpage en deux long-métrages qui rend le début du film peu agréable à regarder, entre un rapide plongeon dans l’action et la nécessité de raccrocher les wagons des souvenirs du précédent film (quand celui-ci aurait pu être réduit à 15 minutes et ne faire qu’un avec cette suite). Mais ce dernier film a le mérite de confirmer, même si trop brièvement, que Severus Snape (Rogue en VF) est la grande figure tragique de la saga Harry Potter. Si j’avais été Steve Kloves, scénariste de quasi tous les Harry Potter, j’aurais placé le personnage au cœur de ce dernier chapitre. Et surtout, j’aurais supprimé ce flash forward final vingt ans en avant qui confine presque au ridicule (et a déclenché des ricanements évidents dans la salle). Mieux valait finir sur les héros jeunes, épuisés, et promis à un avenir qui nous aurait été inconnu.
Je les aurais bien quittés sur ce pont, hagards comme on peut l’être en quittant une saga cinématographique de dix ans, commencée à l’aube de la vingtaine et conclue à la veille de la trentaine. Je m’imagine dans la peau des inconditionnels d’Harry Potter qui ont dégusté chaque page des romans et chaque plan des films, se retrouvant au lendemain de la dernière image de leur épopée culte. J’imagine leur mélancolie, tandis que je regrette seulement qu’avec tous ces films, tout ce potentiel, toutes ces aventures, tous ces grands acteurs, la saga Harry Potter n’ait pas pu être plus à mon goût. Mon palais s’en remettra, et gardera tout de même toujours cette saveur étrange d’un grand personnage qui n’aura jamais été reconnu à sa juste valeur par ses créateurs. Adieu Harry Potter, adieu Severus Snape.