L’apparente générosité de Warren Buffett crée un sentiment de malaise quand on se souvient que les contribuables américains lui ont déjà permis de faire un gros profit, tout en creusant le déficit du gouvernement.
Par David Descôteaux, depuis Montréal, Québec
L’envolée de Buffett est rafraîchissante. Un élan de solidarité citoyenne, de la part d’un ultra-riche, qui mérite mention. Buffett est le capitaliste le plus idolâtré de la planète. C’est un investisseur légendaire, et il donne sa fortune à des œuvres de charité. Bravo.
Mais je me souviens d’un certain deal de Buffett pendant la crise financière, et j’ai comme un malaise.
Dans son livre Obamanomics, le journaliste Tim Carney rappelle qu’en 2008, Buffett était conseiller économique d’Obama pendant sa campagne présidentielle, au beau milieu de la crise. Pendant cette campagne, Buffett a investi 5 milliards $ dans la banque Goldman Sachs. Il « pariait » sur un sauvetage de la banque par le gouvernement, sauvetage dont il faisait lui-même la promotion. Buffett a même affirmé publiquement, quelques mois plus tard, qu’il n’aurait jamais investi cet argent s’il n’avait pas confiance que le gouvernement sauverait les banques.
Quelques semaines plus tard, Obama donnait son accord pour sauver les banques, et verser plusieurs milliards de dollars à Goldman Sachs. Le plan de sauvetage renflouait aussi, avec l’argent des contribuables, l’assureur AIG. Ce qui allait profiter indirectement à Goldman Sachs — et à Buffett.
Peu de temps après, Goldman Sachs s’est remise à faire des profits (et ses dirigeants, à se voter des bonis indécents). Quant à Buffett, son placement lui a rapporté jusqu’ici… 2,5 milliards $, selon Forbes.
En d’autres mots, les contribuables américains ont permis à Warren Buffett de faire un gros profit, tout en creusant le déficit du gouvernement.
Gardons les yeux sur la balle
Comme investisseur, Buffett n’en manque pas une. Mais avant d’exiger que l’État force ses concitoyens à donner encore plus d’argent aux politiciens, Buffett pourrait envoyer un chèque de 2,5 milliards $ au Trésor américain. Pour dire merci aux contribuables.
Et comme plusieurs l’ont souligné avant moi, ce serait plus avisé de la part de M. Buffett d’envoyer directement un chèque au Trésor, en écrivant « Pour : rembourser la dette ». Au lieu de risquer que le gouvernement dilapide son argent dans les dédales bureaucratiques, dans des guerres à l’étranger ou dans le versement de bonis à des banquiers.
Mais s’il est seul à envoyer un chèque, ça ne règlera pas le problème budgétaire des États-Unis, me direz-vous. Vrai. Sauf qu’en vérifiant les chiffres du Trésor américain (mis en lumière par le blogueur Antagoniste), on constate que si le gouvernement américain décidait de confisquer TOUS les revenus des millionnaires, il aurait assez d’argent pour fonctionner pendant… 2 mois et demi.
J’applaudis l’intention de Warren Buffett. Et je souhaiterais moi-même qu’on élimine — ici comme aux États-Unis — les échappatoires fiscales que seuls les riches peuvent se payer. Et qui permettent à des milliardaires comme Warren Buffett d’avoir des taux d’imposition plus faibles que ses employés. Simple question d’équité.
Mais ne perdons pas de vue la source du problème. Les États ont creusé leur trou — et c’est encore plus vrai au Québec — en dépensant comme si demain n’existait pas. Et non parce qu’ils ne taxent pas assez leurs citoyens.
Quant au message de Buffett, il serait plus convaincant si ce dernier n’encourageait pas lui-même des dépenses discutables, en partie pour son propre profit.
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