Le dernier-né de Boeing va entrer en service
Ce devrait ętre un non-événement. Mais compte tenu des événements multiples et variés qui ont secoué le programme industriel pendant trois longues années, l’attribution ŕ Boeing du certificat de navigabilité du 787, dans quelques jours, constitue ce que les Américains appellent un Ťmilestoneť. Le dernier des vols de mise au point vient d’avoir lieu, mettant un terme ŕ 36 mois d’efforts interrompus et 4.854 heures de vol accumulées par sept avions.
Sans doute connaîtra-t-on, un jour, le détail des problčmes qui ont affecté le nouveau long-courrier. Les difficultés liées ŕ l’emploi généreux de matériaux composites (50% de la cellule) ont joué un rôle dans la mesure oů elles ont sans doute été sous-estimées. Mais c’est surtout le modčle économique choisi qui a révélé de sérieuses lacunes : Boeing a confié trop de responsabilités ŕ des partenaires, leur a fait une confiance absolue et ne les a pas suffisamment surveillés. D’oů un sérieux désordre et une reprise en main ferme mais tardive.
La répartition des tâches fait intervenir, pour des sous-ensembles essentiels, de grands noms de l’industrie, et cela ŕ l’échelle mondiale. Par exemple Finmeccanica/Alenia pour la partie centrale du fuselage et l’empennage horizontal, Spirit Aerosystems pour le fuselage avant, les bords d’attaque et le cockpit, ou encore trois ténors japonais, Fuji, Kawasaki et Mitsubishi. S’y ajoutent les membres du désormais célčbre Boeing French Team dont Safran, Latécočre, Dassault Systčmes, etc. Un patchwork ŕ l’image de la maničre de faire l’industrie aéronautique tout entičre mais qui, étonnamment, n’a pas été maîtrisée d’entrée par une société majeure qui, en d’autres circonstances, a pourtant servi de modčle aux autres et a montré la voie ŕ suivre.
Un jour, ŕ n’en pas douter, experts et analystes expliqueront, preuves ŕ l’appui, que c’est la haute direction de Boeing qui n’a pas été ŕ la hauteur du défi qu’elle s’était imposé. Le problčme est d’ailleurs posé en marge d’autres dossiers brűlants, ŕ commencer par la lenteur avec laquelle le constructeur américain répond ŕ de récentes initiatives d’Airbus. Pour la premičre fois, Chicago et Seattle donnent l’impression de faire du suivisme et non pas de précéder la concurrence.
Tout n’a pas non plus été dit sur les conséquences financičres désastreuses des 3 ans de retard du 787, qui se chiffrent en milliards de dollars. La rumeur publique, invérifiable, dit que l’équilibre financier ne serait pas atteint avant la livraison du milličme exemplaire. Mais, ŕ terme, bien positionné sur un marché potentiel prometteur, le 787 apparaîtra certainement comme une bonne opération. D’autant que plus de 800 exemplaires en ont été vendus sur catalogue, un succčs remarquable, et que les annulations ont été rares, malgré l’image négative née des difficultés accumulées au fil des mois.
La Federal Aviation Administration va remettre ŕ la direction de Boeing, dans quelques jours, le précieux parchemin tant attendu et le premier 787 entrera aussitôt en service sous les couleurs de la compagnie japonaise ANA, un tournant qui annonce deux autres défis. Il faudra d’abord vérifier que la fiabilité technique et opérationnelle du 787 sera au niveau attendu. Ensuite, Boeing devra réussir une montée en cadence Ťdisciplinéeť (c’est le terme utilisé en interne), qui plus est en gérant simultanément deux chaînes d’assemblage final, l’une dans l’Etat de Washington, l’autre en Caroline du Sud. Enfin, la version initiale de l’avion, propulsée par des Rolls-Royce, sera suivie de celle dotée de moteurs General Electric. Puis viendra une version allongée.
Dans la foulée, Boeing se prépare ŕ boucler les essais en vol du 747-8, lui aussi en retard, avant de pouvoir concentrer toute son énergie sur la modernisation/remotorisation du 737. Un défi chasse l’autre.
Pierre Sparaco-AeroMorning