Article initialement publié par l'institut Hayek
LE « CONSENSUS DU GIEC » DU POINT DE VUE D’UN PHYSICIEN
Interview du Professeur S. Rachafi, physicien, professeur des universités, vice-président de la Fondation Sygma, par D. Godefridi
Dans le cadre de mes activités, j’ai eu l’opportunité de rencontrer un éminent physicien, le professeur Said Rachafi. Nous nous sommes fréquentés pendant une paire d’années sans jamais parler des questions climatiques ; comme j’avais commencé de rédiger un opuscule sur le GIEC, au détour d’une conversation, j’ai demandé au Pr. Rachafi son sentiment sur la question. Quelle ne fut pas ma surprise (et ma joie) de constater que le sujet excitait sa verve. Les pages suivantes sont la transcription de notre entretien :
-------------
-Professeur Rachafi, vous êtes physicien, doublement docteur en physique et avez enseigné dans différentes universités de par le monde, dont l’Université catholique de Louvain (Belgique), où vous avez d’ailleurs cotoyé celui qui est devenu vice-président du GIEC. Avant d’en venir aux travaux du GIEC, je voudrais d’abord connaître votre avis sur la science climatologique en tant que telle.
La climatologie, science jeune, est probablement la moins exacte des sciences exactes contemporaines. Elle fait appel à une quantité impressionnante d'approximations pour pouvoir surmonter les énormes difficultés, rencontrées lorsque les paramètres impliqués, dynamiques ou statiques, sont trop nombreux. C'est le cas de la mécanique des fluides, un des ingrédients incontournables de la climatologie. La résolution des équations ardues de Navier-Stokes dans le cadre de cette dernière fait en effet appel à une multitude d'approximations phénoménologiques qui sont tout sauf exactes. Les résultats qui en découlent sont bien évidemment à leur tour approximatifs.
-D’où le recours aux statistiques.
Les outils statistiques viennent bien sûr à la rescousse, mais leur validité est tributaire d'un échantillonnage paramétrique de longue durée. Or les premières mesures plus au moins coordonnées et cohérentes des températures au niveau du globe terrestre n'ont débuté qu'en 1850. Ce qui fait que la climatologie est une science très peu exacte et relativement jeune qui doit mûrir davantage pour faire ses preuves.
-Venons-en aux travaux du GIEC ; que vous inspire le quatrième rapport de cette organisation ?
D’abord, je voudrais préciser que je l’ai lu et analysé de part en part, ce qui ne me semble pas être le cas de la plupart de ceux qui le commentent, scientifiques ou non. Je crois qu’il faut distinguer le rapport en tant que tel, et l’ampleur que lui ont donné les médias. Quant au rapport, étant donné que je ne cessais d’entendre et de lire que c’était pure folie de contester les « milliers» de pages du rapport du GIEC, eh bien j’ai été quelque peu surpris de découvrir que sur ces milliers pages, à peine trente pourcent concernent la science climatique, et le reste des recommandations de nature politique, qui n’ont rien, mais alors rien à voir avec la science. S’agissant donc de la partie scientifique du rapport, je ne me permettrais pas de la balayer d’un revers de la main, elle contient beaucoup d’éléments intéressants, encore que souvent très probabilistes, donc incertains. Ce qui est plus gênant est le rapport entre la partie scientifique et la partie politique, d’une part, et la lecture médiatique globale qu’on en propose, d’autre part.
-Commençons par le rapport entre les parties scientifique et politique ; en quoi vous paraît-il problématique ?
La difficulté vient de ce que la partie scientifique est truffée de « il est probable que ceci ou cela » - ce qui est tout à fait normal, puisque depuis Heisenberg on sait que la physique est probabiliste, non seulement en raison de l’imperfection de nos instruments de mesure, mais parce que la nature est elle-même essentiellement probabiliste !, bien que le probabilisme du rapport me paraisse quelque peu excessif et tiré par les cheveux - mais j’aurais aimé retrouver le même degré de prudence dans deux mille pages (politiques) suivantes.
-Ce n’est pas le cas ?
Pas du tout ! Le seul élément d’incertitude des recommandations politiques tient au choix de tel ou tel scénario, plus ou moins ambitieux, de réduction des gaz à effet de serre. J’aimerais qu’on m’explique comment un programme politique peut se montrer aussi catégorique dès lors qu’il se fonde sur les éléments scientifiques aussi incertains ! Il y a là, non seulement une erreur d’appréciation, mais de raisonnement, manifeste.
-Que pensez-vous de la résonance médiatique donnée aux rapports du GIEC ?
Là je dois vous avouer qu’on sort de mon domaine de compétence propre, qui est la physique, et vous me permettrez de procéder avec prudence dans mes affirmations ! Toutefois je dois confesser une surprise qui confine à l’émerveillement quand je vois de quelle manière de nombreux médias - j’évite de généraliser, il y a des journalistes scientifiques très scrupuleux - simplifient les travaux du GIEC, déjà tellement problématiques en eux-mêmes. Je n’ai pas à juger des impératifs auxquels répondent ces organes de presse et me limiterai, dès lors, à relever ce qui, du point de vue scientifique, est totalement inacceptable. Premièrement, je l’ai rappelé, on présente l’épaisseur du rapport du GIEC comme un argument - ce qui est déjà dérisoire en soi, mais l’est encore davantage quand on constate que la partie scientifique du rapport se limite au premier tiers ! Deux, j’entends régulièrement que le rapport du GIEC fait état du « consensus scientifique actuel », approuvé par des milliers de scientifiques de par le monde, et qu’il serait dès lors insensé de le contester.
-C’est en effet l’argument le plus récurrent dans le débat public. Qu’en pensez-vous ?
Qu’il est amusant : la science n’a que faire du consensus ; croyez-vous que Galilée, Newton, Einstein, Heisenberg, Dirac, Planck, Pauli aient contribué à l’édification de la physique moderne en se souciant du « consensus » de leur époque ? Bien sûr, des consensus scientifiques se dégagent parfois, et l’on parle de paradigmes. Mais il ne s’agit pas de cela ici, et il ne peut s’agir de cela dans le cas d’une science aussi jeune et incertaine que la climatologie ! En fait, dans le cas de la climatologie, cet argument du consensus se réduit à l’argument du nombre ; alors poussons au moins cette logique ridicule jusqu’au bout et que l’on organise un vote démocratique de tous les physiciens à l’échelle mondiale ! Je crains que l’on aille aux devants de surprises...
-Les scientifiques du GIEC ne vous paraissent pas suffisamment représentatifs ?
Représentatifs de quoi ? Des gouvernements qui les ont nommés ? Certainement, ils le sont. Mais de la science, cela me paraît plus douteux. De plus, j’observe que la plupart des membres du GIEC, et des rédacteurs de son fameux rapport, ne sont pas du tout des scientifiques, mais des économistes, des « experts » de diverses disciplines, souvent aussi des diplomates qui sont là pour avancer les intérêts de leur gouvernement, pas de la science. Je voyage beaucoup. Je connais en particulier le cas d’un pays du Maghreb, que je ne citerai pas, dont le gouvernement a envoyé au GIEC une personnalité notoirement médiocre sur le plan scientifique, mais parfaitement servile à l’égard du pouvoir. Faire consensus avec ce genre de personnalités ne me paraît pas très éclairant sur le plan scientifique.
-Vous heurte également, je crois, la notion de « dissidence » ?
De fait. Que des experts, juchés sur un socle de scientificité aussi étroit et vacillant que la partie scientifique du rapport du GIEC, se permettent de jeter des fatwas sur leurs contradicteurs, est vraiment navrant. Il est vrai que le principe d'exclusion de Pauli, qui respecte la nature, nous permet de comprendre les confins du microcosme et les fins secrets de l'infiniment petit. Qu'en est-il du principe d'exclusion des experts du GIEC ? Il est vraisemblable qu'il respecte aussi la nature, la leur cette fois-ci ! Avec Pauli, on a la restriction qui engendre la diversité. Avec le consensus du GIEC, on a, semble-il mieux; la restriction qui induit la dissidence ! Pensez autrement et vous êtes un scientifique dissident. Une vraie belle invention !
© Drieu Godefridi & Institut Hayek, 2010
Drieu Godefridi est l'auteur de "Le GIEC est mort, vive la science !", paru le 31 mai 2010 aux éditions Texquis.