Mais avant d’aborder le thème du roman, il convient de définir le style. L’anticipation est un genre délicat qui se démarque de la science-fiction pure et dure. En effet, il s’agit ici pour l’auteur d’imaginer ce que le monde pourrait devenir, en se basant sur des sciences actuelles comme la physique, la politique ou, pour Brunner, la sociologie. Ainsi, on n’imagine pas de toutes pièces une histoire avec des inventions fantastiques, on part du réel et on l’amplifie jusqu’à concevoir un futur qui pourrait exister.
Tous à Zanzibar, c’est l’histoire du monde tel qu’il pourrait être en 2010 (le roman a été écrit dans les années 70). La surpopulation n’est plus un concept mais une réalité, et l’humanité a du s’adapter afin de survivre. Ainsi, les couples qui voudraient avoir des enfants doivent obligatoirement passer une analyse poussée du caryotype afin de déceler toute tare génétique. Si l’un des prétendants à la paternité ou la maternité se révèle avoir une déficience grave, ou moins grave (comme le daltonisme pour ne prendre qu’un exemple), il ou elle est stérilisé. La pire insulte de cette époque, c’est de se traiter de « taré », dans le sens génétique.
Bien sûr, la surpopulation entraîne une avalanche d’autres catastrophes, comme la pollution (New-York est entièrement couverte par un dôme à oxygène afin d’en limiter les effets), l’agressivité permanente (certains concitoyens deviennent régulièrement fous et se mette à massacrer les gens autour d’eux avant d’être abattus), et la dépendance aux tranquillisants tant ils sont devenus indispensables pour supporter la promiscuité.
Le roman suit plusieurs personnages. Norman est un jeune cadre afro-américain d’une des plus grosses sociétés américaines qui par un concours de circonstances se voit confier la responsabilité d’un des projets les plus ambitieux de ces dernières années : le rachat d’un petit Etat africain pour en gérer l’exploitation. Donald est un éternel étudiant qui cache un secret : il est en fait un agent-secret dormant au services des USA qui craint qu’on ne le « réactive » un jour. Chad Mulligan, enfin, est un sociologue de génie cynique et désabusé qui ne supporte pas le monde dans lequel il vit, et qui tente, surtout par la provocation, de faire réagir ses concitoyens.
La construction du roman est très déconcertante dans les premières pages du roman, mais évite l’ennui quand on avance dans l’histoire. En effet, il se découpe en quatre types de chapitres différents. « Contexte » introduit des notions sur l’univers décrit par l’auteur afin qu’on s’en fasse une idée générale. « Le monde en marche » fait penser à une chaîne d’infos en continu, avec des news, des bouts de dialogue, des enchaînements d’idées. « Jalons et portraits » prend des instantanés sur ce monde, décrit de brèves tranches de vie sur des personnages pris apparemment au hasard, un peu comme un zapping à l’échelle planétaire. Enfin, « Continuité », comme son nom l’indique, reprend l’histoire des personnages principaux pour donner au roman sa véritable trame.
Le style d’écriture est très correct et assez accessible si on arrive à dépasser les premiers chapitres. En effet, la structure narrative avec ses quatre types de chapitres et assez déroutante mais sert vite le récit en lui évitant de tomber dans la monotonie. Il s’en suit que l’univers créé est extrêmement riche et vraiment très crédible. Un peu trop, d’ailleurs, car si le livre a été écrit quarante ans plus tôt, on se rend compte qu’on n’est plus très loin de ce qu’il décrit, et c’est plutôt démoralisant. En fait, le problème avec Tous à Zanzibar, c’est que Brunner ne s’est pas trompé, et on n’est pas dépaysé en le lisant, on a juste l’impression de se retrouver avec une version un peu plus noire de notre monde actuel.
Un récit entre l’essai et le roman, donc, sur lequel il faut s’accrocher aux première pages, mais qui révèle assez vite son potentiel.
Note :
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