Rrrahhhhh le syndrome du gros micro mou a encore frappé ! Et encore une fois, avec des conséquences navrantes tant pour la personne qui a déclenché le syndrome que pour tous ceux qui l’ont écouté ! Il va encore falloir une mise en quarantaine, des mois de décontamination, et mettre les exposés au secret pour éviter qu’un politicien ne tombe sur l’idée gluante ! Comme si on n’avait que ça à faire en ces temps de croissance retrouvée.
Je sais que certains jeunes lecteurs, qui viennent d’arriver, ne sont pas au courant du terrible Syndrome Du Gros Micro Mou, et je vais donc rapidement revenir dessus afin de bien expliquer la gravité de ce qui nous est tombé dessus mercredi dernier.
Ce syndrome provient de l’utilisation, par les journalistes, de gros micros mous qu’ils placent, assez sadiquement d’ailleurs, sous le nez de personnes dont l’avis péremptoire s’est forgé à l’aune de leur seul et unique entendement, sans la moindre connexion avec la réalité ni réflexion avec des personnes au courant.
Le procédé d’infection est toujours le même : le journaliste colle le gros micro mou sous le nez de sa victime et va ensuite poser une question qui n’a qu’un rapport vague avec la spécialité de l’interrogé. De fil en aiguille, si la personne est un bon client, elle déviera de toute espèce de cohérence dans son discours et pourra évoquer des opinions politiques sur l’immigration, le niveau de taxation ou la nécessité d’une refonte du système social.
En général, la victime sera d’autant plus prolixe qu’elle a un malaise au niveau de son vécu, que sa profession est en crise ou dans une passe difficile, et qu’elle se fait l’avocate d’une intervention énergique de l’Etat pour régler son problème.
Evidemment, si l’interviewé est un politicien, on a le droit à un festival de malaise, une cornucopie de crise et de passes difficiles, pour terminer par un tombereau de demandes humides d’interventions de l’Etat. C’est open-bar.
Ensuite, on se retrouve pendant des semaines à discuter énergiquement dans les autres médias les idées émises bien qu’elles soient généralement idiotes, manquent cruellement de réflexion, de recul ou simplement d’ancrage avec la réalité pour une mise en place un tant soit peu opérationnelle.
Collez un micro mou sous le nez de Rocard, et cela donne des grands moments de consternation. Et ensuite, ce sont des semaines pour tout désinfecter.
Et cette fois-ci, c’est Jean-Marc Roberts qu’on a lâchement appâté avec ce procédé grossier.
Ce qui devait arriver arriva : c’est un éditeur, patron de Stock, et sa profession est évidemment en crise, il a donc un ressenti négatif et passe par des phases difficiles. Il a donc plein de belles demandes que le micro mou aura permis d’exprimer. Youpi.
Pour faire simple, le pauvret n’arrive plus à écouler ses livres. Les consommateurs, qui sont tout de même un peu bêtes au point de moins vouloir acheter sa production, utilisent une part de plus en plus importante de leur temps — pourtant minuté comme une opération de la CIA en milieu hostile — à faire des trucs et des choses sans rapport avec la lecture. Et ça, ça lui bouffe son commerce. Pire : ces andouilles facilement distraites piratent ses livres.
C’est la cata.
Et comme le micro ne lui a pas été retiré de son pif, il n’a absolument pas pu s’empêcher de demander un truc consternant. Il veut que les livres ne soient plus vendus sur internet, mais uniquement en librairie. Nulle part ailleurs c’est tout point à la ligne et n’y revenez pas merdalor.
Oui, je sais, tout ceci n’a ni queue ni tête, mais je vous présente ça comme ça tombe, dans l’ordre que l’éditeur a lui-même choisi, dans son interview sur Europe 1 ce mercredi. Et pour faire plus clair, voici quelques citations :
« Il y a trente ans, Jérôme Lindon s’est battu pour le prix unique. Aujourd’hui je pense qu’il faut se battre pour le lieu unique. Et le lieu unique c’est la librairie, c’est pas la vente en ligne. »
Voyez, c’est très simple et je vous refais le raisonnement de cet homme torturé par la technologie qui lui bouffe le système.
a/ On impose un prix unique du livre. C’était, disait-on, pour sauver les petits libraires. Ils périclitent rapidement. Bien joué, Jack Lang : ton intervention judicieuse aura doucement achevé une profession plusieurs fois centenaire. Notons qu’ailleurs dans le monde, cette loi n’existe pas et que tout le monde y trouve son compte.
b/ Internet débarque. Panique à bord. Le bateau minitel coule. Les majors des multimédias n’y comprennent rien, mais elles s’en foutent, elles ont Pascal Nègre (super costume) avec elles. Les lois s’empilent pour les protéger. Elles périclitent doucement. Notons qu’ailleurs dans le monde, ces lois n’existent pas et que, petit à petit, les majors s’adaptent.
c/ Internet s’étend. Des liseuses (Kindle et autres) apparaissent. Panique derechef : le bateau Papier coule doucement. Les éditeurs n’y comprennent rien mais ils s’en foutent : ils ont l’Etat avec eux et proposent donc le Prix Unique Du Livre Numérique. Et l’introduction des DRM (protections pour s’assurer que le vil consommateur ne fornique pas en douce avec leurs créations numériques) ajoute un parfum nauséabond à ce gâteau déjà trop lourd. Bilan, leurs eBooks protégés à prix unique se vendent mal. Les autres, sans DRM, se vendent très très bien.
d/ Evidemment, les éditeurs poursuivront dans la même démarche futée et proposeront donc l’interdiction de la vente de livre sur internet, purement et simplement.
La suite, on la devine.
Mais le plus beau est la justification de tout ce bordel théorique auto-explosif :
« Le temps de cerveau disponible est beaucoup moins important, et malheureusement que ce soit pour les radios, pour les éditeurs, pour les libraires, je pense qu’il y a tout un temps consacré à aller sur un blog, choper une info, un scoop, une rumeur qu’on a pas… les gens passent deux à trois heures quotidiennes de leur vie à faire ça et pendant ce temps-là ils ne lisent pas ».
Autrement dit, le gusse se plaint d’un piratage trop important, et, en même temps, du fait que les gens consacrent trop de temps à des futilités de paresseux illettrés. Ils sont méchants, ces consommateurs : ils piratent mais n’ont pas le temps de lire. On croirait presque qu’ils le font exprès, juste pour embêter le patron des éditions Stock.
…
Monsieur Roberts, je dois vous le dire : si les gens achètent moins de livre, c’est parce qu’ils sont, en grande majorité, trop chers (prix unique oblige), de qualité médiocre, et n’intéressent qu’un nombre limité de personnes. C’est tout. Le prix Goncourt (et la plupart des autres) est devenu une plaisanterie transparente, et la littérature française est maintenant très loin de ce qu’elle fut jadis.
Pire : vous assistez, sans comprendre et comme les majors des autres médias, à un changement radical et profond de la façon dont les gens s’informent et s’instruisent. Il est fini le temps ou un modeste nombre de livres était édité en un grand nombre d’exemplaires.
Il va falloir s’habituer à la petite série, sur un nombre toujours plus important de titres. Tout le monde, finalement, peut s’improviser auteur, éditeur, et distributeur de son propre livre (eh oui, même moi : achetez le mien ici !). Donc oui, vous avez plein, plein de nouveaux concurrents. Utiliser l’Etat pour les coincer ne vous apportera, comme à chaque fois, qu’une lente agonie garantie sur facture.
Au lieu de comprendre ce changement, vous voulez simplement vous accrocher à une branche qui a pourtant donné tout ce qu’elle pouvait. Interdisez les livres sur internet, pour rire. Les gens achèteront les livres à Amazon.com au lieu de .fr, iront les importer depuis la Belgique, la Suisse ou le Canada. Vous accroîtrez leur présence numérique, pirate, dans des proportions que vous ne soupçonnez pas.
Alors qu’il y aura toujours, comme pour les disques, les CD, les DVD, des amateurs du support physique, desquels vous devriez vous occuper en détail (regardez ce que font les autres pays à ce sujet), vous allez vous lancer dans une bataille déjà perdue.
…
À lire ces interviews et ces réactions, on comprend que la France n’est plus qu’un repaire d’aigris et de frileux de tout changement, qui refusent toute adaptation et cherchent dans l’Etat la couverture ultime, qui protège de tout.
Un pays de petits vieux emmitouflés dans leurs protections étatiques n’augure pas d’un grand avenir.
Au mieux, il sent un peu l’urine. Au pire, le sapin.