Nous sommes devant un paradoxe politique. L’UE ne semble pas être une « union », à la lumière des grandes tensions parmi les Membres quant à la gestion des flux migratoires. Les institutions européennes semblent inadéquates pour répondre aux défis, elles sont trop lentes et bureaucratisées. L’Union « politique » est encore lointaine : même si le Traité de Lisbonne a introduit de nombreuses nouveautés quant à la politique étrangère et la sécurité commune, les membres ont encore des problèmes à déléguer leurs compétences traditionnelles de politique étrangère – et dans le cadre communautaire, la méthode décisionnelle est encore la méthode intergouvernementale, qui prévoit l’accord à l’unanimité.
Pouvez vous donner vos observations sur le comportement français face à l’idée italienne de « donner » les visas?
Le comportement français n’est pas en contraste avec Schengen, car un citoyen d’un pays extra-européen, pour se déplacer dans la zone Schengen doit posséder certains pré-requis précis. Mais le Traité admet la validité du permis de séjour temporaire donné, émis sur la base d’une norme interne d’un Etat membre. Le Traité de Schengen parle génériquement de permis émis par les membres, donc la France devrait reconnaître les permis italiens : le problème reste dans l’interprétation et dans l’application des normes, et aussi dans la volonté politique de les appliquer. Le permis de séjour pour protection temporaire donnés par l’Italie est relativement neuf – il a été appliqué seulement dans le cas des kosovares, en 1999. Il n’y a pas de précédents et il est normal qu’on discute de comment l’appliquer. Ce qui manque c’est une vraie volonté de l’Europe, qui semble vouloir laisser aux deux pays la gestion du problème, avec le risque qu’il finisse comme « objet d’échange » dans la résolution de question différentes.
Avec la réintroduction des contrôles aux frontières le 12 mai 2011 par le Ministre de l’Intérieur, l’UE manifeste une tendance préoccupante à se fermer. Si les 27 n’arrêtent pas cette tendance, l’UE est destinée à disparaitre. L’UE devrait établir une politique commune d’immigration, fondée sur le respect des droits des migrants. Elle devrait ratifier la Convention de l’ONU sur les droits des migrants de 1990, qui est à la base des normes internationales de droit de l’immigration. Il faut définir un espace de citoyenneté européenne.
Sur les motivations des deux pays : concernant l’Italie, il y a eu un difficile équilibre entre les demandes de la Ligue du Nord et les prérogatives nationales. Le Ministre Maroni se devait de résoudre l’urgence humanitaire sans décevoir ses électeurs ; et il ne devait pas « trop pousser » du côté de la France pour résoudre les affaires Draghi et Lactalis, et en même temps se montrer « dur » face à l’Europe pour obtenir plus de subventions. Il est aussi vrai que, si nous voulons parler d’une vraie « Union », est impossible de laisser l’Italie seule dans la gestion d’une telle urgence. Et en ce moment on voit qu’on est encore très loin d’une politique sérieuse et efficace définie au niveau communautaire ou intergouvernemental. Chaque politicien, Sarkozy surtout, campe sur ses positions car la question des migrants coute beaucoup en termes de votes : en France, par exemple, les élections approchent : voilà le problème de la politique. On regarde seulement à brève échéance, avec pour but le renouvellement du mandat électoral.
La suspension de Schengen par les danois pourrait constituer un précédent dangereux pour la libre circulation des citoyens de l’Union?
Malheureusement, oui. De telles décisions unilatérales représentent une menace pour Schengen et pour l’Europe entière, parce qu’ils peuvent constituer un précédent dangereux : la libre circulation dans la zone Schengen ne doit pas être remise en cause avec des décisions unilatérales. On pourrait dire oui à ce type de décisions seulement en cas de circonstances très exceptionnelles, mais seulement sur la base de règles agréées avec tous les pays européens : un membre ne devrait jamais avoir la possibilité de prendre individuellement une décision pareille, car cela pourrait activer une réaction en chaîne qui compromettrait la confiance des autres membres.
Quels défis découlent de ces événements? Schengen et la libre circulation sont vraiment en péril ? Que doit faire l’UE pour inverser cette évolution ?
Sauvegarder la libre circulation prévue par le Traité de Schengen, renforcer les frontières externes de l’Union et augmenter la coopération avec les pays tiers du sud de l’Europe, voilà les défis qui découlent de ces événements récents. Il faut sauvegarder une coopération fondée sur les questions de la mobilité et de la sécurité, sur la base d’une approche différenciée et de conditions adéquates, et sur la libre circulation des personnes. Si on ferme les frontières internes de l’Union, la mobilité déjà insuffisante (si on pense par exemple au faible niveau de la mobilité des travailleurs et à l’absence d’un véritable marché unique européen du travail) serait compromise gravement. L’abaissement des contrôles aux frontières communes a été ces dernières années un pas très important dans la création d’une identité européenne, un sens d’appartenance à une communauté. Le pas en arrière sur Schengen est donc très grave aussi car il risque d’éroder encore plus le soutien aux politiques partagées entre les pays de l’Union. Il faut espérer que l’Europe n’ait pas pris un chemin sans retour.
Liboria Maggio, Banque Centrale Européenne, PhD en droit international à l’Université de Lecce.