C’est un drôle de pays que le mien, le Canada. À un extrême, les séparatistes québécois font preuve d’un manque de pragmatisme surprenant. À l’autre, le gouvernement conservateur fédéral se montre de plus en plus attaché à la couronne britannique.
Au Québec, le Parti Québécois (PQ) qui menait largement dans les sondages, il y a à peine quelques mois, se détruit de l’intérieur. Cinq députés, et non les moindres, l’ont quitté sur un coup de cœur prétextant que les stratégies de leur parti ne le positionnaient pas carrément en faveur de l’indépendance du Québec. Depuis l’élection fédérale de mai dernier où le Bloc Québécois (BQ) a été à toutes fins pratiques éliminé de la carte politique canadienne et québécoise, la panique s’est emparée des péquistes. Les démissions ont été suivies de multiples déclarations fracassantes dénonçant la chef péquiste Pauline Marois et réclamant sa démission immédiate, et cela à peine quelques mois après que le congrès national du PQ lui ait accordé sa confiance à 93%. Les idéalistes séparatistes lui reprochent sa politique de « gouvernance souverainiste » par laquelle elle s’engage à former un bon gouvernement tout en préparant le terrain pour un référendum sur la séparation de l’ensemble canadien sans toutefois s’engager à le tenir dans un premier mandat électoral. Ces mordus de l’indépendance le veulent tout de suite. Les conséquences de cette querelle de famille sont clairement exposées dans les récents sondages où le PQ devient presque un tiers parti dans l’opinion québécoise et risque de subir le même sort que le BQ. C’est un revirement à 180°.
Du côté du premier ministre canadien Stephen Harper, le revirement est aussi à 180°. Élus avec une majorité parlementaire, lors de l’élection fédérale, le PM et son parti conservateur se pensent tout permis. Ils ne cessent d’affirmer que le peuple canadien leur a donné le mandat d’agir comme ils le font. Et même s’ils n’ont jamais parlé des liens avec la couronne britannique durant l’élection, le PM et ses ministres ont décidé de rétablir tous les symboles de la royauté qui ont été mis au rancart par les gouvernements canadiens passés. Ainsi, les deux tableaux représentant le Canada, de l’important peintre québécois Alfred Pellan, qui étaient suspendus dans le Hall d’entrée du ministère des Affaires extérieures depuis des dizaines d’années ont été enlevés et remplacés par un immense portrait de sa majesté Elizabeth II. L’explication pour eux est simple, la reine est le chef d’état et son portrait doit être affiché à cet endroit. Il semble qu’Harper a été très impressionné d’avoir été invité à coucher à Buckingham Palace…
De plus, Harper a décidé de revenir sur la décision, d’il y a 60 ans, de l’ex-PM Lester Pearson, Nobel de la paix, d’enlever le mot « royal » du nom de chacune des trois forces militaires canadiennes. Ainsi l’armée royale canadienne, la marine royale canadienne et la « Royal Air Force » sont devenues l’armée canadienne, la marine canadienne et la « Canadian Air force ». Aujourd’hui, Harper rajoute le mot « royal » à nouveau pour montrer son attachement à la reine de l’Angleterre. Alors que la population canadienne devient de plus en plus multiculturelle, alors que notre pays a retrouvé sa constitution et qu’il serait normal de chercher à s’éloigner définitivement de la couronne Britannique et de devenir, non seulement par la loi mais aussi par les symboles, un pays vraiment indépendant, Harper recrée les images de notre dépendance passée envers les anglais et Londres. Je n’y comprends rien.
Pour revenir au Québec, la seule vraie chance qu’ont les séparatistes d’atteindre leur but passe par un gouvernement PQ. Le passé l’a clairement établi puisque les deux référendums ont été votés par un gouvernement péquiste qui avait passé un mandat électoral au pouvoir. Le peuple québécois ne veut pas être brusqué et les séparatistes devraient s’en souvenir. Pauline Marois n’est peut être pas la plus sympathique des leaders politiques, mais elle a été élue et plébiscitée à son poste.
Après les trois mandats électoraux successifs de Jean Charest, il est normal que les Québécoises et les Québécois pensent à changer de gouvernement. Mais suite à la façon spectaculaire avec laquelle les séparatistes se tirent dans le pied, ils indiquent dans les sondages que Jean Charest et le parti libéral reprennent du poil de la bête. S’ils veulent vraiment créer le pays Québec, les séparatistes doivent cesser de se chamailler et redevenir sérieux. Comme membres responsables d’un parti politique, le bon sens indique leur obligation d’appuyer leur parti et leur chef. Si la division règne, ils sont assurés de l’opposition et risquent même de perdre l’opposition officielle.
Quant au monarchiste Harper, il continue d’aller à rebrousse-poil par rapport aux tendances dans le monde et à la façon de penser et de voir des Québécois. Alors que la première ministre d’Australie propose publiquement l’abolition de la monarchie, Harper en fait la promotion au Canada. Partout au monde, lorsqu’on voyage, les gens de tous les pays ne peuvent pas comprendre que la photo de la reine Élizabeth soit sur les billets d’argent canadien. Et s’il continue, Harper enlèvera-t-il les portraits d’ex-PM du pays qui figurent sur certains autres billets ? Ce sera de beaux billets lorsque Charles deviendra roi !
Ce faisant, le PM Harper ne retrouvera certes pas l’appui des Québécois. Nous avons besoin au Canada d’un vrai gouvernement pour tous ses citoyens et citoyennes quelques soient leurs origines. Certes Harper a une majorité, mais il ne représente qu’une nation du pays et qu’une frange de l’opinion publique. Diriger le Canada sans tenir compte du statut et de l’opinion de la nation canadienne-française n’est pas dans l’intérêt de l’unité canadienne puisque plusieurs Québécois et francophones des autres provinces se révoltent tous les jours contre cette façon de faire. Harper ne rend pas service à notre pays en poussant vers la souveraineté ceux qui hésitent entre le Canada et le Québec.
Claude Dupras