Article de la série « Les mots du Développement Durable » en collaboration avec « Comprendre le Développement durable », le blog de Dominique Bidou, Expert ddont vous pouvez retrouvez quelques idées à ce lien
J’entends à la radio s’exprimer l’inquiétude d’un journaliste. Nous sommes en Chine, dans une ville toute neuve, parée de toutes les vertus de l’écologie, une ville qui tente en particulier de vivre sans sac en plastique. Belle ambition ! Et le journaliste de s’inquiéter pour les milliers d’emplois que l’abandon desdits sacs par les magasins allait affecter. L’écologie ne fait manifestement pas bon ménage avec l’emploi !
Ce genre de réflexion, hélas encore fréquent, illustre la dérive extraordinaire de l’approche courante de l’économie. L’utilité sociale a disparu des raisonnements. L’important serait l’emploi, et non la création de richesses, de services pour répondre à des besoins. Le sapeur Camembert a encore frappé. Il faut à tout prix s’occuper, travailler, peu importe à quoi ça sert. D’ailleurs le PIB, le fameux indicateur de notre efficacité économique, ne comptabilise que le volume d’activité, et non son utilité sociale. Le Bonheur National Brut, c’est bon pour le Bhoutan.
Le développement durable, ce serait tout simplement de remettre les choses à leur place, de ne pas baisser les bras devant les dérives que chacun finit par admettre, selon un principe de réalité qui semble anéantir tout esprit de résistance, bien qu’il nous conduise droit dans le mur. Ces dérives sont bien connues, elles correspondent à une inversion dans les valeurs, du type la demande au service de l’offre, l’économie au service de la finance, l’homme au service de la machine, etc. Nous savons tous que la réalité est complexe, et que ces valeurs doivent trouver leur équilibre, mais l’emballement des logiques de production possède une force qu’il est souvent difficile de maîtriser. C’est alors la dérive du productivisme, avec en figue de proue le fameux sapeur Camembert. L’emploi pour l’emploi, le travail pour le travail, y compris le travail qui ne sert à rien, ou qui, pire encore, détruit des valeurs, c’est en fin de compte mépriser le travail humain, c’est le contraire de l’humanisme.
Revenons au sac plastique. Il rend souvent service. Un service qui doit être évalué à l’aune des ressources consommées pour le rendre et pour en éliminer ensuite les séquelles, pour l’éliminer après usage. Un coût physique, en matières et en énergie, à comparer avec celui d’autres manières de rendre le même service. S’il est justifié, il faut en payer le prix. Si au contraire il est facile de s’en passer, si le coût en ressources semble prohibitif par rapport au service rendu, abandonnons le sac plastique à son sort, le pétrole trouvera meilleure utilité dans d’autres transformations.
Et les emplois ainsi condamnés ? Et bien justement, la crainte souvent manifestée est celle du manque de bras. La pyramide des âges inquiète nos dirigeants, et les gestionnaires des caisses ce retraite. Il n’y aurait pas assez d’actifs pour assurer notre prospérité. Voilà une réserve que l’on pourrait mobiliser, au fur et à mesure que le besoin se fera sentir. Il faut pour cela revoir le sens du mot actif, et ne l’attribuer qu’à ceux qui créent de la richesse nette. Cela devrait ouvrir des marges de manœuvre. Il y a aussi tous les services qui ne sont pas rendus, notamment pour améliorer le sort des plus démunis, de populations non solvables, de laissés pour compte de la croissance. L’abandon des sacs plastiques, c’est aussi de l’argent économisé, puisqu’ on ne les fabrique plus, qu’on n’importe plus le pétrole nécessaire à leur fabrication, qu’on les distribue plus, et qu’on n’a pas ensuite à les récupérer pour les incinérer, ou les recycler, pour qu’ils ne dégradent pas les paysages en s’accrochant aux branches. Voilà, potentiellement, une ressource financière qui pourrait trouver une nouvelle affectation, pour occuper les bras qui seraient rendus ballants par l’abandon du sac plastique.
Ce raisonnement, vous l’aurez remarqué, est idyllique. L’argent ne change pas d’affectation aussi simplement. Il faut que chaque acteur économique y trouve son intérêt, ce qui ne semble pas impossible si on s’organise bien, et si la transition est bien gérée. Il faut pour cela une politique volontaire, allant de l’avant et non pas à reculons, en n’acceptant la disparition du sac plastique, celui qui ne rendrait pas un service correspondant à son coût environnemental, que contraint et forcé. Une politique volontaire et adoptée par tous les acteurs concernés qui doivent tous y gagner. Tous autour de la table pour se mettre d’accord, pour le plus grand profit de l’environnement et des acteurs économiques. Ne serait-ce pas la philosophie du Grenelle de l’environnement ?