Les complotistes technophobes sortent du bois et ont lancé une pétition « Pour un tribunal Russell contre les crimes du nucléaire civil en 2012 ! »
Par Anton Suwalki
Que l’accident de Fukushima suscite des interrogations sur la sécurité nucléaire en général et au-delà, sur les choix énergétiques, n’a rien de surprenant ni de choquant. Mais comment en débattre et avec qui ? Certainement pas avec les principaux anti-nucléaires qui donnent de la voix depuis quelques mois. Pour ceux-là, qui sont animés par une technophobie pure et simple parce qu’ils s’imaginent lutter contre le système en attaquant la technologie en général, il n’est pas question de débat rationnel, de peser et de relativiser les risques et les avantages d’une telle technologie. Il n’est même pas question de débat pour un Stéphane Lhomme, qui en bon démocrate qui se respecte, dénonce « le piège d’un référendum ».La gestion de l’information autour de l’accident a fait beaucoup plus de dégâts que la gestion de l’intervention sur la centrale, où l’on ne déplore aucun mort y compris parmi les liquidateurs [1], ce qui permet aux anti de donner libre cours aux pronostics les plus délirants. Les députés européens d’Europe Écologie s’étaient précipités pour exiger de « sortir de la folie nucléaire », et ne reculant devant aucun lyrisme manipulateur, dénonçaient « la folie démiurgique d’un système économique et d’un mode de développement qui croit pouvoir s’exonérer de l’imprévisible, du risque et des équilibres naturels ». À l’heure des dévastations causées par le tsunami, ils préféraient terroriser les populations sur « une contamination catastrophique qui [pourrait] balayer l’archipel et le Pacifique ».
Serial Fakers
Fukushima, ce fut l’occasion pour tous les complotistes et les charlatans de sortir du bois. Pour la CRIIRAD, d’inventer un nouveau mensonge de l’IRSN, moyennant quelques manipulations statistiques. Dans l’escalade de l’apocalypse annoncée, Stéphane Lhomme annonçait que des millions de japonais vont développer un cancer. Et une activiste anti-nucléaire australienne, qui se fait passer pour une physicienne , de dénoncer en Fukushima une « catastrophe bien pire que Tchernobyl ». Rien que ça !
Les propos de cette bonimenteuse [2], permettent d’ailleurs de se rendre compte du fonctionnement de ce milieu : ainsi l’amalgame concernant l’uranium basé sur l’exemple de l’Irak, où l’armée américaine aurait utilisé des obus dont les têtes contenaient de l’uranium appauvri destiné à augmenter leur pouvoir perforant. « L’uranium est déjà très toxique, mais il peut se révéler encore plus dangereux une fois manipulé. Les Américains ont utilisé de l’uranium à Falloujah et Bagdad, en Irak. À Falloujah, 80% des bébés présentent de graves malformations: des bébés nés sans cerveau, d’autres avec un seul oeil, sans bras… Au point que les médecins recommandent aux femmes de ne plus faire de bébés!» Bien que sans le moindre rapport avec la situation au Japon, citer des chiffres délirants sur les conséquences de la guerre d’Irak [3] permet d’agiter l’épouvantail de la fin du monde.
Par recoupements, on retrouve cette légende et ces chiffres abracadabrants dans la littérature du réseau Sortir du nucléaire, lequel affirme : «La fixation de l’UA sur le placenta provoque chez les nouveau-nés d’horribles malformations : hydrocéphalies, absence de tête, de membres ou d’organes, organes à l’extérieur du corps. Chez les bébés irakiens nés en 2002, l’incidence d’anophtalmie (absence d’yeux) a été 250.000 fois plus grande que l’occurrence moyenne. Les premières paroles d’une femme irakienne qui vient d’accoucher ne sont pas : « c’est une fille ou un garçon ? », mais « mon bébé est-il normal ? » En outre, les anomalies génétiques s’aggravant d’une génération à l’autre, il faudra plusieurs décennies avant de mesurer l’atteinte du génome. » On se contentera de noter que compte tenu de l’incidence estimée de l’anophtalmie [4], les affirmations de Sortir du nucléaire sont mathématiquement impossibles.
Le nucléaire civil, un « crime contre l’humanité » ?
Le plus effrayant n’est cependant pas dans ces inepties, mais dans le tournant que les technophobes voudraient faire prendre au « débat » sur le nucléaire civil : ainsi les décroissants de la revue Le Sarkophage ont lancé une pétition « Pour un tribunal Russell contre les crimes du nucléaire civil en 2012 ! »
Dans un style d’une pauvreté consternante – « Les Tchernobyl et les Fukushima passent mais le nucléaire ne trépasse pas. » – les décroissants appellent donc à assimiler l’existence du nucléaire civil à un crime contre l’humanité. On peut imaginer la mascarade que représenterait un tribunal international (fût-il « alternatif ») jugeant de tels « crimes ». Pour commencer, qui serait jugé et pour quels faits ? La légitimité de tels tribunaux est déjà habituellement douteuse, tant la justice qu’elle rend ressemble au droit des vainqueurs, mais au moins l’acception admise de crimes contre l’humanité repose-t-elle sur des crimes de masse organisés dont personne ne songerait à nier la gravité extrême.
Ainsi, la liste des crimes contre l’humanité comprend :
« meurtre ; extermination ; réduction en esclavage ; déportation ou transfert forcé de population ; emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ; torture ; viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ; persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste (..) ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ; disparitions forcées de personnes ; crimes d’apartheid, autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. » (article 7 du Statut de la Cour pénale internationale).
Il va de soi qu’aucun acteur des centrales nucléaires, scientifique, décideur politique, ingénieur, opérateur industriel, fût-il responsable de graves négligences, ne pourrait-être tenu pour responsable de telles abominations. Pas même à Tchernobyl, le seul accident nucléaire ayant jamais entraîné une véritable catastrophe sanitaire.
L’outrance qui caractérise cette mouvance qui, dans sa folie, pourrait assimiler un Georges Charpak (un « expert mercenaire », dans la langue de plomb des décroissants) à des bourreaux nazis, revient finalement à banaliser ce que l’histoire récente de ce monde a produit de plus inhumain.
Ce grand moment de « justice » ne se tiendra peut-être jamais, à moins que ça soit sous la forme de mascarade de « tribunal populaire » qu’affectionnent bien d’autres anti (11) . Les retombées médiatiques en seraient certainement limitées. On peut toutefois s’interroger sur l’état de confusion mentale qui a conduit certains intellectuels connus à apposer leur signature en bas d’un tel torchon (voir les signatures en bas du texte).
Un article du blog Imposteurs, reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.
—-
Notes
– Voir le communiqué de presse n°33 du 18 Juillet 2011 de l’ASN.
[2] Dont la fiche Wikipedia donne une idée de la compétence.
[3] Une étude controversée de la revue médicale The Lancet avait conclu en 2006 à plus de 600.000 morts violentes de civils en Irak entre 2003 et Juin 2006. Le bilan sinistre de cette guerre n’autorise cependant pas à publier n’importe quel délire.
[4] Entre un cas sur 100.000 et un cas sur 10.000 , l’incidence n’a pu être multipliée par 250.000 !
Voir notamment :
– C. Dufit, E. Baggio, J.-M. Ruban, A. Buenerd, M. Hermier, « L’anophtalmie fœtale », Journal Français d’Ophtalmologie, 1999; 22: 966
– C. Stoll, Y. Alembik, B. Dott, M.P. Roth, « Congenital eye malformations in 212,479 consecutive births », Annales de génétique, 1997, vol. 40, no2, pp. 122-128.
[5] Ainsi,le 24 juillet à Thor (Vaucluse) , le maire vert Jacques Olivier et l’association Follavoine organisaient un « tribunal populaire » qui jugeait Monsanto pour crimes contre l’humanité. La soirée était consacrée à une information (sic !) sur les gaz de schiste ».