Dans une tribune pour "Le Nouvel Observateur", le candidat à la primaire socialiste livre ses solutions pour faire face à la crise.
La gauche n'a jamais abordé une échéance majeure dans des conditions aussi compliquées sur les plans économique et budgétaire.
En 1981, la France sortait de deux chocs pétroliers et vivait avec une inflation de 14%, mais ses comptes publics étaient équilibrés, ce qui a laissé à François Mitterrand une certaine marge de manoeuvre pour la relance.
En 1988, le krach boursier survenu un an plus tôt avait été surmonté et l'activité reprenait à un rythme supérieur à 3%.
En 1997, les déficits publics s'étaient creusés avec la récession de 1993 et les promesses inconsidérées de Jacques Chirac, au point de justifier la dissolution. Mais l'économie mondiale repartait fortement et le gouvernement de Lionel Jospin sut en tirer toutes les opportunités.
Rien de cela n'est en vue pour 2012. La dette publique dépassera 87% du PIB et le déficit du commerce extérieur tangentera les 70 milliards d'euros. Autant de records historiques !
Quant à la croissance, il est probable qu'elle se situera au-dessous de 2%, dans un contexte européen où les mesures de rigueur s'ajoutent aux plans d'austérité et dans un environnement international où l'économie américaine lutte contre une récession et où la dynamique des pays émergents est devenue moins flamboyante.
Et je ne parle pas des agences de notation qui mettent les Etats sous la menace quotidienne de leurs injonctions même si le mur de l'argent, la violence des marchés et la fièvre spéculative ne datent pas d'hier.
Les trois défis qui nous attendent
Le prochain président de la République, s'il est socialiste, comme je le veux, aura donc trois défis à relever : le rééquilibrage des finances publiques, le rétablissement d'une offre compétitive, la réduction des inégalités.
La poursuite de ces trois objectifs peut paraître difficilement compatible. Pourtant sans croissance, pas de redressement des comptes publics, sans vertu budgétaire, pas de confiance ; sans justice sociale, pas de pacte productif efficace.
Oublier un des termes de l'équation, c'est prendre le risque de la disqualification financière si la France s'écartait de la trajectoire qui l'a conduite à maîtriser son endettement public, disqualification économique si se poursuivait le déclin industriel et commercial du pays, et surtout disqualification politique si les Français ne voyaient pas de changement dans la répartition des revenus et des profits.
Le temps sera compté, c'est dans les premiers mois d'un quinquennat que beaucoup se joue. Nicolas Sarkozy l'a démontré à ses dépens avec l'échec de son paquet fiscal. Les premières décisions de la nouvelle majorité structureront pour longtemps le paysage économique et social.
La réforme fiscale est donc l'acte premier, la condition préalable à la formation d'un cercle vertueux. Elle permet, en effet, de dégager des recettes, de conforter l'investissement et de redistribuer du pouvoir d'achat. Pour redresser les comptes publics, des économies sur des dépenses improductives seront nécessaires comme sera indispensable un nouvel acte de décentralisation qui accompagnera la réforme de l'Etat.
Je veux dire la vérité aux Français
A court terme, un effort devra être consenti. Il ne pourra se résumer à un concours Lépine sur la réduction des niches fiscales. Il appellera une révision de l'ensemble de nos prélèvements.
Est-il "normal" que les classes moyennes paient des taux d'impôts directs supérieurs à celui des plus favorisés ? Est-il "normal" que les PME acquittent un taux effectif d'IS (impôt sur les sociétés) supérieur à celui des entreprises du CAC 40 ? Est-il "normal" que les revenus du capital soient moins largement imposés que ceux du travail ?
D'où ma proposition d'une fusion IR-CSG et d'une assiette large pour toutes les impositions, qu'elles soient sur les ménages ou les entreprises, et qu'elle concourt à l'amélioration du rendement autant qu'à la simplification de l'impôt. Le redressement de la compétitivité des entreprises ne peut se ramener à la seule fiscalité.
J'y ajoute ce qui relève de l'affectation de l'épargne, du capital-développement, de l'organisation des filières d'avenir ou des partenariats public-privé pour le financement des grandes infrastructures. Mais l'instrument fiscal reste pertinent pour soutenir l'innovation et faire grandir nos PME. Je suis favorable à un abaissement de moitié de l'IS pour les très petites entreprises.
De même, il n'est plus possible d'alourdir le coût du travail quand notre balance commerciale est à ce point dégradée. C'est pourquoi je propose un basculement des cotisations patronales de la branche famille vers des prélèvements d'Etat (notamment par la fiscalité écologique).
Enfin, pour soutenir la demande, la réduction des inégalités demeure un levier pertinent. Il s'agit d'engager une redistribution en faveur des salariés et des familles au détriment des plus hauts revenus et des fortunes les plus importantes.
Préparer l'avenir de la jeunesse
Les écarts entre les plus riches et tous les autres sont non seulement devenus une insolence destructrice de cohésion nationale, mais aussi un frein à la croissance. Cette observation vaut pour tous les pays développés.
J'ajoute que l'Europe peut parallèlement appuyer le réarmement productif, l'assainissement financier comme la sanction de la spéculation d'abord par la levée d'une nouvelle taxe sur les banques, mais surtout sur les transactions financières et, ensuite, par l'utilisation de ces ressources nouvelles pour engager des investissements d'avenir (recherche, université, écologie...).
J'estime dans ce moment si difficile et si menaçant pour la France comme pour l'Europe, où se jouent le destin de notre nation comme le déclin de notre continent, que la gauche est mieux préparée que la droite pour conduire ce cercle vertueux à condition qu'elle ait le courage d'utiliser les outils de la régulation, l'audace d'engager la réforme fiscale et la capacité à s'extraire de l'immédiateté pour préparer l'avenir de la jeunesse.
La droite s'est fourvoyée dans des baisses d'impôts, l'apologie des inégalités et la promotion des égoïsmes de toute nature. Elle ne peut être en phase pour trouver des solutions à des problèmes dont elle est elle-même à l'origine.
Pierre Mendès France écrivait qu'"il n'y a pas de politique sans risque mais des politiques sans chance". La formule résume bien le choix de 2012, le risque serait la continuité, la chance, c'est le changement.
François Hollande
Tribune publiée dans Le Nouvel Observateur du 18 août 2011
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François Hollande