Nicolas Sarkozy est reparti au Cap Nègre dès mercredi. La semaine prochaine, pour son premier conseil des ministres de la rentrée, il attend un joli dossier de la part de deux de ses ministres, François Baroin et Valérie Pécresse. Ces deux collaborateurs doivent remettre leurs pistes d'économies pour l'élaboration du prochain budget. Il est assez probable qu'aucun détail ne sera fourni.
Mardi 16 août, Christine Lagarde, la directrice du FMI, s'inquiétait tout de même de la multiplication des plans de rigueur en Europe qui risquait de briser la croissance économique.
Le même jour, l'enquête pour « complicité de détournement de fonds publics et de faux» dans l'affaire Tapie démarrait. L'ancienne ministre est sous le coup d'une enquête, sur son rôle dans le recours à l'arbitrage pour régler le litige opposant Bernard Tapie au Crédit Lyonnais. La procédure s'était terminée par l'octroi de 285 millions d'euros nets à l'homme d'affaires en juillet 2008.
Mardi, une magistrate, Cécile Petit, a ainsi signé son réquisitoire introductif, qu'elle a adressé aux trois juges de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République (CJR), Daniel Farge, Michel Arnould et Henri Blondet. Comme le rappelle Reuters, « une autre enquête pour abus de pouvoirs sociaux est conduite actuellement par le parquet du tribunal de Paris à l'encontre des hauts fonctionnaires impliqués dans l'arbitrage », deux hauts fonctionnaires qui étaient sous les ordres de la ministre de l'économie.
De révélations en révélations, on sait d'ores et déjà que (1) la gouvernance du CDR et de l'EPFR, les deux organismes qui représentaient l'ancien Crédit Lyonnais, avait été affaiblie au plus fort de la procédure, (2) que l'un des juges du tribunal arbitral avait des liens d'affaires passés avec Bernard Tapie, (3) que malgré l'énormité historique de la condamnation, Christine Lagarde a donné des instructions pour qu'un appel ne soit interjeté.
Mediapart a publié de larges extraits de la décision motivée rédigée le 4 août par la commission des requêtes de la Cour de justice de la République (CJR) dans l’affaire Lagarde/Tapie (*). Selon le site, la commission accuse Christine Lagarde s'être « impliquée personnellement et de façon litigieuse dans un dossier qui n'avait pour but que de renflouer par tous les moyens Bernard Tapie, cela malgré un risque judiciaire très faible pour l'Etat, et en dépit de l'opposition de plusieurs hauts fonctionnaires ». Voici les principaux points de l'accusation, rapportés par Mediapart :
Une procédure jugée douteuse
Primo, la procédure est jugée douteuse: « Le processus qui a conduit "à la condamnation du CDR au paiement de sommes élevées à la charge des finances publiques comporte de nombreuses anomalies et irrégularités" ». Les magistrats ont énuméré ces anomalies et irrégularités. Reste à définir, au cours de l'instruction, l'ampleur de la responsabilité de Mme Lagarde. Cette dernière nie toute irrégularité ou anomalie dans la procédure.
La légalité même du recours à l'arbitrage est jugée « incertaine ». La légitimité de ce recours est tout aussi incertaine:
1. Les chances de gagner en justice de Bernard Tapie « étaient à tout le moins sérieusement compromises par l'arrêt de cassation » d'octobre 2006. De surcroît, les « procédures étaient proches de leur terme » après la décision de l'assemblée plénière de la Cour de cassation qui s'imposait à toute autre juridiction, rappelle Mediapart.
2. La commission des requêtes rappelle que de nombreux avis défavorables contre ce recours se sont exprimés avant que Christine Lagarde ne passe outre (le directeur général de l'agence des participations de l'Etat, l'avocat historique du CDR, l'ancien président de l'EPFR).
L'ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde a expliqué récemment qu'il était habituel que les « services » refusent toute transaction dans ce genre de conflit.
3. Le choix de l'arbitrage n'économisait aucun frais de procédure: non seulement, la procédure normale était quasiment terminée, mais en plus, les honoraires des avocats choisis pour la procédure d'arbitrage, « en lieu et place de l'avocat historique du CDR, hostile à cette procédure, équivalent à ceux qu'auraient représenté plusieurs années de nouvelles procédures judiciaires ».
4. Selon les magistrats, le compromis entre Tapie et le Crédit Lyonnais, rédigé avant l'arbitrage et accepté par le CDR, « apparaît également et à de nombreux égards irrégulier » : exclusion du Crédit lyonnais, garantie du CDR pour l'indemnisation d'un préjudice personnel des époux Tapie non prévue par la lettre ministérielle de 1999, absence d'information régulière du conseil d'administration du CDR, divergence du compromis définitif avec la version validée par le conseil, demandes « au titre du préjudice matériel » jugées « excessives ».
5.L'arbitrage lui-même est également entaché d'anomalies et irrégularités : choix des arbitres « pas conforme aux pratiques habituelles » ; liens directs ou indirects de deux des trois arbitres avec Bernard Tapie.
6. La commission des requêtes s'est aussi inquiétée sur le résultat de l'arbitrage : la sentence rendue était conforme à 80% aux demandes de Tapie; pire, « la somme de 45 millions d'euros a été allouée de ce dernier chef sur le seul fondement d'un acharnement exceptionnel de la banque à l'égard des époux Tapie en vue de briser chez eux tout avenir professionnel et toute réputation, sans que le Crédit lyonnais ait pu faire valoir ses arguments en défense », et « après que le CDR ait renoncé à soulever l'irrecevabilité de cette demande des mandataires judiciaires, se satisfaisant de l'assurance que les époux Tapie verseraient cette somme pour couvrir l'éventuelle insuffisance d'actif de leur liquidation judiciaire ».
Le rôle de Lagarde
Secundo, le rôle de Christine Lagarde apparaît central, d'après les magistrats de la commission des requêtes.
1. Jean-Louis Borloo, ancien avocat de Bernard Tapie, a décidé du principe de l'arbitrage dès son entrée en fonction au ministère de l'économie et des finances le 18 mai 2007. Le rôle de Christine Lagarde, qui a succédé à Jean-Louis Borloo le 18 juin 2007, apparaît ensuite déterminant : elle a donné l'instruction d'accepter l'arbitrage le 10 octobre 2007.
2. Une fois la sentence historiquement défavorable à l'Etat rendue, elle a « sans attendre l'expiration du délai d'un mois », « demandé par écrit aux administrateurs représentant l'Etat de s'exprimer en défaveur d'un recours en annulation ».
3. La conclusion des magistrats de la commission des requêtes est terrifiante pour la cause de l'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy; « De l'ensemble des décisions systématiquement défavorables aux intérêts du CDR, de l'EFPR et de l'Etat résultent des indices graves et concordants faisant présumer que, sous l'apparente régularité d'une procédure d'arbitrage, se dissimule en réalité une action concertée en vue d'octroyer aux époux Tapie et aux sociétés dont ils détiennent, directement ou indirectement, le capital, les sommes qu'ils n'avaient pu jusqu'alors obtenir, ni des tribunaux judiciaires, ni par la médiation tentée en 2004, ni lors d'une seconde négociation menée en 2006 après le prononcé de l'arrêt de la cour d'appel de Paris, celle-ci ayant également été abandonnée, compte tenu des prétentions jugées inacceptables de M. Tapie. »
En conclusion, les magistrats recommandaient une instruction de la CJR soit lancée pour évaluer si ces faits « sont susceptibles de constituer à la charge de Mme Lagarde les délits de complicité de faux par simulation d'acte et de complicité de détournement de fonds publics ».
Nicolas Sarkozy, à son retour de vacances, devra-t-il s'expliquer sur cette affaire ? Sans doute pas. Ses interventions publiques sont toujours soigneusement thématisées, et rares sont les journalistes qui osent sortir des clous de l'agenda officiel.
(*) article payant