Ce second volume de la saga-thriller à la mode suédoise n’est pas à la hauteur du premier. Le lecteur s’est attaché aux personnages et reste intéressé par leurs tribulations. Mais l’histoire est moins resserrée, mal maîtrisée, des personnages secondaires sans intérêt pour le récit apparaissent et disparaissent, l’auteur se perd un peu dans son sujet… Reste que qui a lu le premier tome voudra savoir et lira le second.
Cette fois, le héros du livre n’est plus la presse et son magazine d’investigation ‘Millénium’, mais « le Système ». Ce merveilleux système social-démocrate à la suédoise où la société s’occupe de tous, de l’enfance à a mort, décide qui est sain et qui ne l’est pas, ce qui est licite ou non, politiquement correct ou non, et l’image que l’on doit avoir de vous. Évidemment, toute administration dégénère en bureaucratie, anonyme et rigide ; tout fonctionnaire non contrôlé en ego avide de pouvoir ; toute question un tant soit peu « sensible » en secret d’État qui justifie n’importe quelle restriction aux libertés individuelles. Il y a du Big Brother technologique comme de la jalousie de village dans le système social-démocrate à la suédoise. Qui n’est pas jugé conforme est haï et dénoncé de façon unanime, à la façon des boucs émissaires.
C’est bien évidemment ce qui arrive à Lisbeth, experte en informatique et génie mathématique, mais jugée asociale et psychopathe depuis l’âge de 12 ans pour raisons d’État. Sa lutte de David solitaire (1m50 au garrot) contre le Goliath étatique et médiatique va faire l’intérêt de ce tome. Tome qui comme la tomme homonyme aurait eu besoin d’une cure de mûrissement et d’un peu de fermentation, tant l’histoire se traîne – au début notamment. Comme si l’auteur avait tâtonné avant de savoir où il voulait aller. Le message initial, qui est que le sexe soi-disant « libéré » des Suédois dégénère le plus souvent en fantasmes de violence masculins, puis se perd dans les sables au profit du complot d’un sous-service du service secret. Avec une « rédemption » patriotique à la fin, qui veut que le Mal vienne d’ailleurs, d’un pays ‘barbare’, et que le Suédois moyen en soit la malheureuse victime !
De nombreuses invraisemblances rendent ce thriller bien loin du réalisme habituel du genre littéraire. Ainsi, comment une psychopathe sous tutelle, qui ne peut rien dépenser sans l’accord de son tuteur et est gardée sous surveillance par crainte d’automutilation, peut-elle avoir passé le permis de conduire comme si de rien n’était ? Les traducteurs de ce second volume ont fait moins attention que pour le premier, sans doute pressés par le temps – et le succès initial. C’est ainsi que surgit un mystérieux service soviétique appelé GRO, dont nul n’a jamais entendu parler. Alors que tout lecteur de thriller connaît parfaitement le GRU, service d’espionnage militaire, au sigle universel dans toutes les langues ! Pourquoi faire snob ? Serait-ce que les auteurs n’ont jamais traduit de thriller auparavant ? De même, l’emploi à plusieurs reprises du terme « définitivement », très rare en français, surtout dans le sens courant du globish ‘definitely’ que le suédois utilise peut-être comme l’anglais. En français, cela devrait donner « précisément », ou « nettement » – pas « définitivement » dont le sens du mot n’a rien à voir !
Disons en gros, pour les fans du premier tome, que Mikael perd un peu de son aura, Erika en perd pas mal, que ‘Millenium’ se banalise et que Lisbeth devient adulte dans la douleur. On la quitte avec un peu plus de plomb dans la tête (les lecteurs parvenus au bout de l’ouvrage comprendront).Sont abordés, par ordre d’apparition à l’image, des thèmes aussi médiatiques que les ravages de la rumeur, la vie d’esclave des putes, la bonne conscience de la loi que personne ne suit en pratique, le destin aveugle des ‘services’ publics d’État, le quart d’heure médiatique des frimeurs et autres ratés avides de gloire éphémère, l’existence souterraine d’une jeunesse déphasée…
Qui a lu le premier tome s’intéressera au second rien que pour ses personnages dont l’existence semble échapper souvent à leur auteur. C’est le signe de caractères réussis. L’intrigue finit par retomber sur ses pattes et les pièces éparses du puzzle se rassemblent en un tout assez cohérent.
Stieg Larsson, Millenium 2, La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette (Flickan somlekte med elden), 2006, éd. Française Actes Sud 2006, traduit du suédois par Lena Grumbach et Marc de Gouvenain, 653 pages, (pas encore en poche) €21.85.
Les trois Millenium en 3×2 CD audio, 60 h d’écoute, Audiolib 2008, €68.40
Eva Gabrielsson, Millenium Stieg et moi, Actes sud 2011, 160 pages, €19.00