Nicolas-Antoine Taunay (Paris, 1755-1830),
Le triomphe de la guillotine, c.1795.
Huile sur toile, 129 x 168 cm, Saint-Pétersbourg, Musée de l’Ermitage.
Lorsque l’on pense à la période révolutionnaire, des airs viennent presque automatiquement à l’esprit, qu’il s’agisse du Ça ira, de la Carmagnole ou, bien sûr, du Chant de guerre pour l’armée du Rhin, écrit à la fin d’avril 1792 et rebaptisé Marseillaise par le peuple dès le mois de juillet suivant. Certains d’entre eux connurent un tel succès qu’ils furent repris dans des œuvres « sérieuses », un des plus beaux exemples étant peut-être la Symphonie concertante pour deux violons mêlée d’airs patriotiques de Jean-Baptiste Davaux (1742-1822), publiée en 1794 (et remarquablement enregistrée par le Concerto Köln en 1989), illustrant parfaitement les échanges incessants entre musiques « savantes » et « populaires ».
Les pièces rassemblées dans cette anthologie apportent une nouvelle démonstration de cette circulation de l’un à l’autre
univers, en s’attachant principalement aux chansons qui, étroitement liées au flux des événements, connurent alors une croissance phénoménale, passant d’une centaine créée en 1789 à partir de
la prise de la Bastille à plus de 700 en 1794. Délaissant les salons au profit des rues dont elles capturent les tumultes, rumeurs et échos, elles voient leurs textes évoluer de façon décisive,
ces derniers se faisant instantanés de l’actualité qu’ils rapportent et commentent au travers de prises à partie et de parti également virulentes
Il faut également noter la facilité déconcertante avec laquelle les chansonniers, afin d’assurer à leurs créations la plus
large diffusion possible, se saisissent des mélodies les plus connues pour y greffer de nouvelles paroles, qu’il s’agisse de timbres populaires, comme Cadet Rousselle ou Malbrough
s’en va-t-en guerre, ou d’airs plus savants, tels l’inusable Menuet d’André-Joseph Exaudet, composé vers 1751 et ferment de quelques 200 chansons, de l’Amphigouri
patriotique proposé dans ce disque à la coquine aventure de La sœur Luce,
Des Lunaisiens, on attendait le meilleur dans ce répertoire largement laissé en friche ; le moins que l’on puisse dire
est qu’Arnaud Marzorati, Jean-François Novelli (photographie ci-dessous) et les musiciens qui les accompagnent dans ce projet s’acquittent tous de cette résurrection avec une aisance
confondante. Si l’ensemble a fait le choix, comme l’explique fort à propos le baryton dans la partie de la notice qu’il signe, d’une esthétique sans apprêts afin de rendre au plus près le
caractère direct des pièces proposées, son interprétation n’est pas, pour autant, désinvolte ou négligée ; on pourrait même dire, tout au contraire, que la virtuosité des musiciens est
quelquefois bien plus éclatante que celle que requièrent des œuvres aux ambitions artistiques globalement modestes.
À tous ceux qui, chercheurs ou simples curieux, souhaitent découvrir le bouillonnement créatif des premières années de la Révolution française, je conseille donc ce France 1789 haut en couleurs et brillamment interprété par des Lunaisiens en grande forme. Si son caractère documentaire l’inscrit un peu en marge de la production discographique habituelle, sa pédagogie souriante rend cette réalisation passionnante assez irrésistible, et on remercie la Cité de la musique et le Palazzetto Bru Zane de l’avoir rendu possible, en espérant que ces deux institutions feront de nouveau confiance à des interprètes sans concurrents dès qu’il s’agit de sentir l’air qui passe au travers des chansons d’une époque.
Les Lunaisiens :
Hughes Primard, Arnaud Ledu, ténors, Stéphanie Paulet, violon, Mélanie Flahaut, flageolet & basson, Michel Godard,
serpent, Céline Frisch, clavecin, Yves Rechsteiner, piano organisé, Joël Grare, percussions.
Arnaud Marzorati, baryton & direction
Jean-François Novelli, ténor & direction
1 CD [durée totale : 61’08”] Alpha 810. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. La trahison punie, texte de Ladré, chansonnier patriote (1792)
Arnaud Marzorati, Mélanie Flahaut, Joël Grare
2. Vive la liberté, anonyme (1793)
3. Entends ma voix, finis mes maux, anonyme (1792)
Jean-François Novelli, Mélanie Flahaut, Céline Frisch
4. La grande colère du Père Duchene, anonyme (1791)
5. La queue à Robespierre, texte de Louis-Ange Pitou (1795)
Jean-François Novelli, Stéphanie Paulet
Illustrations complémentaires :
Anonyme français, Les aristocrates à Lanternopolis, 1790. Estampe, 27 x 20,5 cm, Paris, Bibliothèque nationale de France.
Anonyme anglais, XVIIIe siècle, La démocratie française illimitée, la monarchie française limitée, sans date. Aquarelle, 19,2 x 29,5 cm, Versailles, Château de Versailles et de Trianon.