Voit-on poindre une certaine lassitude à l’égard des médias sociaux ? C’est ce que suggère avec prudence une étude de l’institut Gartner, relayée par Ecrans.fr. Si la tendance générale reste à l’enthousiasme, avec de fortes zones de progression (comme chez les jeunes), 24% des sondés, généralement moins geek, disent utiliser moins les réseaux que lors de leur inscription sur ceux-ci. On se reportera au détail de l’étude pour une analyse plus fine de ses résultats. Mais l’apparition d’une « social media fatigue » dans les segments les moins technophiles de la population me semble aller dans le sens de la logique.
On tend facilement à oublier que les réseaux sociaux sont avant tout ce que leur nom indique : des réseaux sociaux. A la différence de jeux vidéos, par exemple, et même de jeux vidéos sociaux tels que les MMORPG, ils n’offrent pas d’autres contenus (informationnels, relationnels) que ceux que les participants y mettent et ceux auxquels ils peuvent accéder. Un réseau comme Facebook est potentiellement riche d’interactions, mais encore faut-il parvenir à y avoir des amis ; sur des réseaux asymétriques où l’on s’abonne à des comptes sans que ceux-ci s’abonnent forcément au sien (Twitter, Google Plus, voire les blogs), on peut très bien rester spectateur inaudible (ou inécouté), même si on souhaite le contraire.
Sur Facebook, la tendance au renforcement de la confidentialité des comptes par leurs propriétaires ne facilite pas le « moissonnage » d’amis. Il faut donc faire, surtout si on vient d’arriver sur le réseau, avec ses connaissances réelles de la vie réelle. Et là, on n’est plus dans les grands discours sur l’Internet social, mais simplement ramené à la réalité de son « réseau social » IRL : a-t-on beaucoup d’amis ? Sont-ils inscrits sur Facebook ? A supposer qu’ils le soient, quelles sortes de contenus diffusent-ils, à quelles sortes d’interactions donnent-ils lieu ? Je repère généralement trois types de comptes dans mon propre réseau : des comptes qui utilisent le réseau pour diffuser de l’information, en recevoir et échanger à son sujet ; des comptes qui sont principalement destinés à l’interaction amicale ou familiale (statuts sur la vie quotidienne, photos de vacances …) ; des comptes enfin sans activité ou presque, avec leur mur spammé par les messages de divers jeux et applications. Selon la répartition (à mon avis fortement corrélée au niveau socio-professionnel) de ce type de comptes dans son propre réseau, on aura une expérience de Facebook évidemment bien différente, et des opportunités radicalement différentes. Même l’usage amical ou familial a ses limites : même si on adore ses amis ou sa famille, a-t-on vraiment envie – quand on n’a plus 15 ans – de partager avec eux leur moindre photo de soirée ou le commentaire de leur agenda ? Facebook ne met pas forcément en avant la facette la plus intéressante des gens.
Les réseaux asymétriques type Twitter présentent un autre problème : être exposé aux messages d’autrui ne garantit pas, loin de là, la réciprocité. Là encore je constate une tripartition des comptes : des comptes (très nombreux) sans mises à jour et sans abonnés ; des comptes prolixes, très suivis et activement suivis (c’est-à-dire avec des interactions soutenues avec d’autres comptes) ; entre les deux, la masse des comptes qui fonctionnent, mais dans le vide, c’est-à-dire avec peu d’abonnés et encore moins d’interactions, quel que soit le nombre de messages qu’ils émettent. Twitter reproduit et exaspère en fait le darwinisme social du monde « réel » : d’un côté des stars, des (micro)célébrités, des influents ; de l’autre le commun des mortels, qui peut bien avoir les choses les plus intéressantes du monde à dire mais qui reste dans l’ombre. Bien sûr, on peut assumer (certains comptes le font clairement) le fait de rester muet et de simplement venir recueillir de l’information, mais cela ne justifie pas vraiment, à la longue, une présence soutenue sur le réseau.
Il ne me semble donc pas illogique, passé l’effet de nouveauté et la curiosité, qu’une partie de leurs utilisateurs se lassent des réseaux sociaux. Non par fatigue de la suractivité en ligne, comme pour les utilisateurs les plus experts et impliqués, mais au contraire par ennui et sous-investissement. Les chiffres de la présente étude sont même étonnamment bons, dans cette perspective, et montrent combien ces réseaux, bon gré mal gré, se sont ancrés en profondeur dans le paysage.
Romain Pigenel