Martine Aubry vient d’annoncer l’une de ses propositions économiques pour la présidentielle: une taxation plus forte des bénéfices des entreprises en cas de distribution de dividendes. Il ne s’agit que d’un nouveau sophisme économique. Démonstration.
Par Florent Belon
« Distribuer des dividendes nuit gravement à la santé économique »
Voilà une phrase qui devrait être placardée dans toutes les assemblées générales d’associés. Enfin, si l’on écoutait les socialistes en matière de gestion d’entreprises…
Voilà quelques années que ce sophisme est revenu sur le devant la scène.
Ce phénomène s’amplifie lorsque les multinationales de grandes tailles, les sociétés du CAC 40 notamment, qui, après avoir vu leurs résultats fortement diminués, ont profité des efforts réalisés et de la croissance mondiale tirée par les pays émergents, et annoncent à nouveau d’importants bénéfices.
Il ne s’agit ainsi pas des PME ne connaissant que la terre française, rendue à moitié stérile par l’action de l’État parasite.
Dans le cadre des primaires socialistes, Martine Aubry vient d’annoncer ses propositions économiques, dont une taxation plus forte des bénéfices des entreprises en cas de distribution de dividendes, alors qu’en cas de réinvestissement dans l’entreprise, les résultats bénéficieraient d’une fiscalité plus douce.
Ceci peut sembler au premier abord de « bon sens » pour certaines personnes, dont certaines se disant favorables à l’entreprise, aux PME… Mais ceci n’est une nouvelle fois qu’un sophisme économique.
La grande justification, pour ne pas dire mystification des socialistes est qu’il faut privilégier l’investissement dans l’entreprise. Toute trésorerie qui est sortie de l’entreprise ne sera pas investie dans celle-ci. Alors les socialistes, ne faisant pas confiance à l’entreprise (pas plus qu’aux individus) pour disposer de ses résultats, craignant qu’elle ne distribue toute sa trésorerie aux actionnaires, désirent pénaliser la distribution de dividendes, voire augmenter la fiscalité sur les résultats. Moins il en restera à l’entreprise, moins elle distribuera. L’État, lui, on le sait, assurera une saine gestion des sommes. Si l’on doit parler d’investissement, seulement 20 % de son budget est affecté à l’investissement, et celui-ci n’est pas toujours le plus pertinent. Alors, quoi de plus juste en apparence que d’empêcher les dividendes pour augmenter l’investissement dans l’entreprise ?
Rappelons-nous Frédéric Bastiat et sa fameuse expression « ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas ». Dans notre cas, lors d’une distribution de dividendes, l’on voit une sortie d’ « argent » de l’entreprise, et en effet celui-ci ne sera investi par l’entreprise distributrice. Mais voit-on où va cet argent ? Disparaît-il ? Le mange-t-on ? Non, soit il est consommé, ce qui est le droit de tout propriétaire (les illusionnistes keynésiens et ATTAC, eux, se réjouiront de la demande dynamisée), soit il est épargné. Les affreux capitalistes ne pensant qu’au profit, cet argent ne dormira pas. Dans le pire des cas, il ira financer le déficit abyssal de l’État, mieux, il permettra à une banque de prêter à d’autres particuliers ou entreprises, voire il sera réinvesti directement dans d’autres entreprises, pour certaines émergentes et à fort potentiel.
Nous pouvons donc d’ores et déjà noter que l’argent du dividende n’est pas perdu pour qui raisonne un tant soit peu.
Voyons maintenant pourquoi il est nécessaire pour que l’investissement se porte bien que des dividendes soient distribués.
Une société ne distribue pas sa trésorerie pour le plaisir de voir des facilités se dissiper. Au contraire, les PDG à la tête des sociétés sont souvent avides de pouvoir, et ce pouvoir ne va pas toujours de pair avec l’intérêt des actionnaires et l’investissement le plus pertinent, bien au contraire. Un dividende, et plus généralement un versement de trésorerie aux actionnaires, est envisagé lorsque l’entreprise ne dispose pas de projet assez intéressant, assez rentable. Au lieu d’investir pour investir, elle va donner l’excédent de trésorerie aux actionnaires.
Je précise au passage que les dividendes peuvent rapidement être taxés à près de 35 % (impôt sur le revenu et prélèvements sociaux) alors que le résultat de l’entreprise a déjà été amputé du tiers. L’État ne devrait pas se plaindre, il gagne lui à tous les coups, et sans risques.
Pour illustrer cette situation, un particulier qui donne en location un appartement ne va pas réinvestir constamment les loyers reçus en travaux dans le logement, à défaut de quoi il cassera la baignoire pour installer une douche, qui sera, quelques mois plus tard, cassée à son tour pour installer une baignoire d’angle, faute de meilleure idée pour « investir » le produit de ses loyers. Inciter les entreprises à ne pas distribuer, c’est inciter dans certains cas les entreprises à gaspiller des ressources qui auraient pu être employées de façon beaucoup plus fructueuses par d’autres.
Les autres peuvent emprunter me dira-t-on ? Pour emprunter, il faut bénéficier d’un niveau de risque modéré et disposer des capacités de remboursement de l’emprunt à brève échéance. Ce n’est pas le cas des sociétés naissantes, de celles qui vont investir dans les technologies de demain ou d’après-demain. Seul l’argent de l’actionnaire, les capitaux propres, sont en mesure d’accompagner la société sur le long terme, sans demander à la société le remboursement de leur investissement.
Mais avec les rachats d’actions, on détruit du capital, non ? On détruit du capital social, le capital comptable. Mais le capital financier n’est pas détruit, la trésorerie est seulement redistribuée aux actionnaires sous une autre forme (en principe moins fiscalisée) que le dividende.
Mais alors pourquoi vouloir décourager la distribution par les sociétés de dividendes ?
Tout d’abord, il s’agit d’une vieille pratique que l’on a abandonnée depuis quelques années. Il s’agissait avant du « précompte mobilier ». On attribuait un avantage fiscal aux sociétés ne distribuant pas. Ce mécanisme a été abrogé en 2005 et désormais l’avantage bénéficie quelle que soit la politique de distribution.
La justification n’est point économique, seulement dogmatique. Les dividendes sont une rémunération du capital, et le capital c’est mal.
Peu importe si le capital est nécessaire, si son abondance profite au salarié dont le salaire augmente, et s’il est le seul à prendre des risques de pertes. En revanche, l’entreprise, cette abstraction, produit la richesse si nécessaire aux individus et à ce goinfre d’État. Il faut l’encourager car elle crée également des emplois. Mais que les actionnaires puissent tirer un avantage de leur apport (rappelons que 70 à 80 % de la valeur ajoutée va à la rétribution de la masse salariale, le reste étant attribué aux impôts, à l’investissement, et le résidu aux actionnaires), cela apparaît aux yeux des socialistes choquants.
Notre épargne est déjà très improductive car elle finance en grande partie le déficit chronique de l’État. Nous manquons cruellement de jeunes pousses malgré un développement ces dernières années du capital investissement. Nous décourageons déjà la prise de risques par des taxations excessives. Une grande part des personnes entreprenantes fuient notre pays. Une immixtion supplémentaire dans l’allocation des ressources de notre économie est une calamité dont notre système n’a pas besoin.
Une fausse bonne idée de plus alors qu’il reste encore 9 mois avant l’élection présidentielle de 2012 est inquiétante, non seulement car elle pourrait être adoptée par la nouvelle majorité, mais surtout car le débat politique est un lieu d’intoxication intellectuelle à teneur garantie en sophismes économiques.