Revue de l’ouvrage de Sophie Coignard, Le pacte immoral, Albin Michel, 2011.
Par Jean-Baptiste Noé
Dans quelques chapitres bien relevés, la journaliste rapporte les déboires de certains professeurs, obligés d’appliquer les mauvaises décisions du ministère sous peine de sanctions administratives. Elle raconte aussi comment ceux qui savent, ceux qui connaissent le fonctionnement de l’éducation — notamment les professeurs et les syndicalistes — savent contourner le système, tout en empêchant que celui-ci change. Enfin elle retrace la misère des ministres de l’Éducation. Être nommé rue de Grenelle est vécu comme une punition par tous ceux qui doivent y aller. Toute réforme est impossible, la rue est prête à gronder, les syndicats — tous plus ou moins liés au parti socialiste — se font un devoir de détruire leurs ennemis politiques. Et c’est ainsi que part à l’eau ce qui devrait être une des priorités de la nation, priorité affichée dans les discours mais non pas dans les faits. Quelques chiffres donnent la mesure de ce désastre : 150 000 élèves quittent chaque année le système sans qualification, 20 à 25% des enfants d’une classe d’âge ne maitrisent pas correctement la lecture.
Il est dommage que l’auteur se contente de dresser un tableau sans évoquer des pistes de sortie. De même, il eut été intéressant d’enquêter sur les écoles qui se créent pour pallier le désastre de l’EN, ou bien sur les parents qui retirent leurs enfants de l’école pour les instruire eux-mêmes. Ces phénomènes sont encore marginaux et ne concernent que peu d’élèves, mais ils sont toutefois en forte progression depuis une dizaine d’année.
De même on peut discuter la thèse centrale de l’auteur qui est la notion même de pacte immoral. Pour elle, les choses allaient bien avant les années 1990 et c’est durant cette décennie qu’il aurait été décidé de sacrifier l’Éducation nationale. Mais à aucun moment elle ne dit pourquoi ce pacte aurait été scellé. Surtout, face au désastre éducatif, une autre thèse est possible — elle aussi discutable — c’est la thèse de la germination plus que de la rupture.
Certains pensent que l’Éducation nationale a connu une rupture, à partir de la création des IUFM en 1990 par Lionel Jospin, et que cette rupture ne cesse de s’amplifier depuis. Il est vrai que nous notons un décrochage évident à partir de la décennie 1990, visible notamment dans les matières littéraires, avec le refus d’enseigner la chronologie en histoire et l’irruption d’un jargon technique et universitaire en français, qui rend la langue incompréhensible aux élèves.
Toutefois, pour notre part, nous pensons que l’Éducation nationale est perverse depuis ses débuts, depuis les lois Ferry de 1880. Lorsque Ferry arrive au ministère, l’illettrisme est pratiquement vaincu, une grande partie de l’enseignement est gratuit, les écoles sont libres et fonctionnent grâce à la générosité de donateurs, la grande majorité d’entre elles étant gérées par des congrégations religieuses. Jules Ferry a supprimé toute liberté éducative, il a nationalisé l’Éducation nationale, en interdisant les congrégations enseignantes et en rendant presque impossible l’existence d’écoles libres. Comme tout système nationalisé, celui-ci est coûteux et inefficace. De plus, comme il repose sur une idéologie politique de combat et non pas sur la volonté d’améliorer l’éducation en France, il ne peut être qu’éloigné des réalités éducatives, et donc être mauvais. C’est ce péché originel de l’Éducation nationale qu’il s’agit de comprendre. Dans la suite de son histoire les tares congénitales n’ont fait que s’amplifier et se développer, pour aboutir aujourd’hui au désastre que l’on connait.