Cela fait un moment qu’on peut légitimement se demander si la presse fait son travail. Je sais, je choque le lecteur habitué de ces douces colonnes feutrées ou jamais l’idée que les journalistes puissent être des pignoufs n’a été évoquée. Mais baste, disons les choses telles qu’elles sont : il y a des médias, ici et outre-Atlantique, qui font de manière très discutable leur honorable travail. Voilà. C’est dit. Pfiou.
Maintenant que l’introduction est passée, et tout euphémisme mis à part, il est nécessaire, une fois de temps en temps, d’écrire noir sur blanc quelques phrases bien senties : les médias actuels sont de gros monstres mous, putrides et flasques, qui ont depuis longtemps perdu toute éthique, dont les jours sont heureusement comptés et dont les journalistes les plus sémillants ne peuvent même plus espérer approcher la décence et l’honneur de la pire roulure du Bois de Boulogne qui, au moins, ne s’illusionne pas sur son métier, elle.
Bien sûr, une lecture, même en diagonale, des épaves d’articles quotidiens, constellés de fautes factuelles ou orthographiques, suffit à se rendre compte que la bouillie qu’ils produisent ne vaut pas le dixième du salaire qu’on leur accorde à grands frais pour le contribuable, d’ailleurs.
Et lorsqu’on regarde ce qui se passe aux États-Unis, on a la joie somme toute modérée de constater que … c’est exactement pareil. En plus coloré, avec des logos qui bougent dans tous les sens, des infommercials scintillants et des entrefilets publicitaires permanents, mais c’est la même chose : les journalistes ne font pas leur travail, racontent n’importe quoi, oublient des faits importants, montent en épingle des broutilles, surjouent l’à-côté-de-la-plaque, et s’astiquent le poireau sur des concepts inopérants.
Pire, ils déforment volontiers les faits pour coller à la réalité alternative qu’ils ont forgée.
Ainsi, dans cette dernière et pour les prochaines élections présidentielles, le candidat Ron Paul n’existe pas. Non pas qu’il dise des choses idiotes, ou sans intérêt. Non pas qu’il ne s’exprime pas. Non pas qu’il se ramasse gamelle sur gamelle dans les sondages ou les « élections test » régulièrement organisées pour déterminer le meilleur candidat à l’investiture (républicaine, dans le cas qui nous occupe).
Non. D’après ces journalistes qui font honneur à toute la profession de peignes-cul que le monde (et Le Monde, aussi) connaît, Le candidat Ron Paul n’existe pas du tout parce qu’il est incolore, inodore, et sans saveur, n’impressionne pas la pellicule, ne dévie pas la lumière, ne réagit pas avec l’environnement. Rien. Nada. Le vide chimiquement pur.
Tant et si bien que lorsqu’il arrive en deuxième position derrière Michele Bachmann, cette seconde place disparaît des écrans médiatique. Ça n’existe pas. Pourtant, il n’est pas parvenu à cette place avec la moitié des votes de la gagnante. Non. Il arrive second à 152 voix d’écart (sur plus de 16000 votes) comme en témoignent les résultats officiels :
2011 Straw Poll Full Results (Votes, %)
1. Congresswoman Michele Bachmann (4823, 28.55%)
2. Congressman Ron Paul (4671, 27.65%)
3. Governor Tim Pawlenty (2293, 13.57%)
4. Senator Rick Santorum (1657, 9.81%)
Ce qui donne lieu à cette vidéo succulente sur le Daily Show de Jon Stewart.
(Et il en existe une version Youtube ici)
Non, il ne s’agit pas d’un vague argument sur une hypothétique conspiration des médias pour oublier Ron Paul alors que les faits montreraient son insignifiance évidente : il y a, bel et bien, une absence totale d’équité, une volonté absolument manifeste de tout faire pour cacher l’existence de ce candidat, Celui Qu’On Ne Doit Pas Nommer.
Ici, on pourrait croire à un débat purement américano-centré. Il n’en est rien. Le problème est exactement le même en France, avec le même comportement d’autistes de journalistes spongicéphales ; regardez cette intéressante vidéo de BFM qui donne une bonne idée de la valeur des informations de cette chaîne — vendez vos actions — et qui parvient à, elle aussi, à ne surtout pas évoquer le second candidat qui la talonne pourtant de près.
On pourrait lire aussi ce palpitant étronarticle de l’Express qui arrive lui aussi à omettre presque totalement Ron Paul.
Pourtant, il existe des sondages et d’autres straw polls qui sont relativement indicatifs (celui-ci, ou celui-là, par exemple). Mais non : Paul reste définitivement Celui Qu’On Ne Doit Pas Nommer.
Admirez la performance tout de même.
Il n’y a en fait pas vraiment lieu de se demander pourquoi la presse subit un tel point mort dans son regard : Ron Paul est précisément le genre de personnage qui ne leur rapporte absolument rien. Il veut en terminer avec ce qui a fait le bonheur de toute la clique, politicienne et médiatique. Le créditer, ce serait immédiatement faire passer des milliers de journalistes et politiciens pour des imbéciles, qui n’ont cessé de voir en Ron Paul qu’un vieux trublion excentrique.
Il dit que le Roi est nu, et le Roi, c’est justement les politiciens de la dette, les journalistes de la connivence. Il dit des choses que ces gens ne veulent absolument pas entendre, il appuie là où ça fait mal et, évidemment, personne n’aime avoir mal.
Rassurez-vous cependant. En France, tout ceci ne risque pas d’arriver.
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