C'est curieux, en même temps j'ai deux grosses gouttes de sueur qui entrent dans mes yeux. Chacun sa goutte envenimée. C'est vraiment brûlant la sueur ! Vision kaléidoscopique dans l'instant. Tout se déforme à l'infini. Rochers, broussailles, talwegs, ergs, cheminées de fées, caillasses...
Je frotte, ça brûle comme de l'acide. J'attends. Vision déformée. Du blanc partout, le bleu du ciel dilué dedans. Qu'est-ce que je suis venu foutre ici et à cette heure ?
C'est n'importe quoi... Plus de 40°. Dans les canyons, le mercure dépasse les 50°. Les Bardenas c'est de la folie pure pratiquement tout le temps d'une année. Par temps de pluie on reste prisonnier de la terre, impossible de lever le pied. Vrai. La godasse reste collée comme avec de la super glue. L'hiver, des vents d'enfer vous tuent à grands coups d'aiguilles glacées et perforantes. L'été, le soleil est démentiel.
C'est pour moi le plus bel endroit du monde. Je l'ai dans peau. Y'a rien. Y'a tout. Tu peux hurler comme un fou, parler, chanter, marcher, faire du VTT, photographier, écrire, tu peux tout faire entre toi et toi dans les Bardenas.
Délire minéral et végétal. pourtant, qu'est-ce que j'y suis venu foutre un 15 août ? Un peu fêlé le mec. Tout à l'heure j'ai pensé très fort aux Dupont-Dupond dans "Tintin au pays de l'or noir"... Ils délirent, ils voient une oasis, se mettent en maillot de bain, courent, plongent dans le sable... On voit vraiment de l'eau dans le désert quand le soleil est de plomb coulant. Et ma bagnole qui est encore si loin.
Faut attendre alors. Reprendre ses esprits. Pas s'affoler. Chercher un rocher, de l'ombre. Penser aux enseignements de Cochise ou de Géronimo. Tu peux rester des heures sans boire avec un simple petit caillou placé sous ta langue. Tu vas être étonné par la salivation alors. C'est ce que je fais. J'attends. Pas un bruit. Pas un animal. Les milliers de moutons du printemps sont loins, partis vers des Pyrénées plus accueillantes. Pas un oiseau. Pas un insecte. Pas une mouche, pas une guêpe, (pas folle la guêpe) elles se crameraient les ailes si elles s'aventuraient à voler par ici. Nada. Pas un être humain. Seulement moi qui suis en train de ne plus en être un justement.
Fixité du rocher, collé au rocher pendant trois heures. Je pense aux exégètes de "la chose" qui ont écrits : - Souviens-toi homme, tu es poussière et tu redeviendras -
S'est pas gourré le mec. En poussière tout se finit. En poussière fine, blanche. Comme la poussière des Bardenas qui me fait maintenant un masque sur le visage. L'idée me plaît assez finalement au lieu de gamberger avec d'hypothétiques réincarnations dans le corps d'un dauphin ou dans celui d'un autre G. Clooney. De la poussière et "Basta" comme dirait DEB.
Les Bardenas resteront mes amours mortelles. La "San Miguel"éperdument glacée, bue dans la soirée à Ejea de los Caballeros eût goût d'ambroisie. Sol y polvo. Mon Espagne.