Je t’ai déjà raconté comment on avait rencontré Bob, et aussi comment on avait visité sa longère rénovée, son étang, son moulin et son four à pizza du seizième siècle.
Donc tu sais aussi que Bob et Salima, c’est devenu des copains, et ça ne va pas trop t’étonner qu’on se soit tous retrouvés pour fêter le quinze août et la montée de la Vierge à coups de flammekueche et de riesling (oui parce que Salima est originaire de Strasbourg, comme tu l’avais deviné rien qu’à cause de son prénom).
La maison de Bob et Salima est vraiment isolée, ce qui est très agréable quand tu n’as pas de tendances dépressives ou suicidaires. En général, tu n’entends que les oiseaux (des rapaces, des sittelles torchecul, ce genre d’animaux) et c’est très reposant. Sauf hier, où on nous avait pas prévenus que c’était le jour où les motards allaient célébrer la Madone. Rien que sur la route, on a croisé environ trois-cent obèses habillés en cuir et montés sur des Yamaha, avec leurs petites amies grimpées à l’arrière et qui débordaient un peu de partout sur les sièges vu qu’elles étaient pas très minces non plus. Moi j’adore Sons of Anarchy, qui est une série sévèrement burnée, mais là je trouvais que ça faisait pas vraiment SAMCRO (ça veut dire « Sons of Anarachy Motorcycle Club Redwood Original »), ça faisait plutôt RAOULCRO (ça veut rien dire).
Bref.
On s’est gavés de flammekueche maison en écoutant les Suzuki et les Honda pétarader au loin, et je voyais bien que Bob était moyennement jouasse à cause du bordel sonore (Bob c’est un peu Jeremiah Johnson, il danse avec les loups et il chante avec les castors, c’est très beau et bucolique). A un moment j’ai eu un peu peur qu’il finisse par craquer, ça m’aurait embêtée, à cause des douze fusils de chasse qu’il garde un peu partout dans sa maison (on n’est jamais trop prudent, Bob a appris ça quand il était en stage commando quelque part au Brésil et qu’il remontait l’Orénoque à la nage avec trente kilos de barda sur le dos et des poids attachés aux chevilles).
Après le déjeuner, on était un peu en train de mourir, rapport aux lardons fumés, à la crème fraîche épaisse, au fromage blanc et aussi aux quatre bouteilles de Riesling. C’est pour ça que Bob a proposé qu’on fasse des activités digestives.
- Sans moi, j’ai dit, je suis pas très sportive.
- Bah c’est pas grave, a dit Bob, on va faire comme si c’était un jeu télévisé, celui présenté par l’autre mollusque coiffé comme Paul Michael Glaser…
- KOH-LANTA! a beuglé Loutre, qui adore regarder des no-life sans scrupules se faire des crasses et perdre trente kilos sur des îles paradisiaques entre deux pages de publicité pour Rexona.
- Ouais, a dit Bob, on enchaîne des épreuves de survie pour rigoler.
- On peut se faire des coups de pute, alors? J’ai demandé.
- N’y pense même pas, a dit Loutre, qui se souvenait que j’avais dit que Koh-Lanta serait beaucoup plus marrant si on mettait des kalachnikov et du cyanure à disposition des candidats.
La première épreuve que Bob a proposée, c’était le tir à l’arc. Sur leur terrain, Bob et Salima ont mis des cibles en forme de canards et de perdrix, jusque dans les bois. Bob nous a refilé des arcs qui ressemblaient à ceux des Yanomami (tu sais, ces Indiens coiffés comme Mireille Mathieu qui jouent dans La forêt d’émeraude). Évidemment, c’est lui qui les avait fabriqués (Bob c’est un peu Jeremiah Johnson, il siffle avec les furets et couine avec les scarabées). On a donc tiré chacun son tour sur des cibles et Bob il mettait toutes ses flèches en plein dans le cœur des animaux en carton, même à soixante-dix mètres de distance. Moi aussi j’ai mis dans le cœur mais c’est parce que j’ai dégommé Anne-Sophie, qui était la poule mascotte de Salima. J’ai pas fait exprès, sans rire, je visais trente mètres plus à gauche.
Après le coup des arcs, on est tous allés jusqu’à l’étang, où Bob gare ses canoés. Évidemment, c’est lui qui les a fabriqués (Bob c’est un peu Jeremiah Johnson, il canoëtte avec les poules d’eau et pépie avec les pipit farlouse). On a tous pris un canoé, une pagaie, et on devait faire la course jusqu’à l’embouchure de la rivière puis revenir. Bob, à peine il était parti qu’il était déjà revenu, et même pas sa mèche avait tremblé sous l’effort. Loutre avait un peu plus de mal à cause de l’eau qui commençait à remplir son embarcation, et moi j’avais commencé à vomir ma flammekueche au bout de trois mètres (mais c’est parce que j’ai fait des bronchites asmatiformes quand j’étais petite, et aussi des végétations, et que depuis, j’ai pas de souffle, je voudrais bien t’y voir). A la fin, Bob a dû tracter le canoé de Loutre a mains nues en pagayant avec ses pieds pendant que j’essayais de revenir sur la rive à la nage, mais les brochets maousses de l’étang devaient bien aimer la flammekueche parce qu’ils arrêtaient pas de me coller aux basques.
- Enlevez-les, j’ai couiné crié, je veux pas finir comme Robert Shaw dans Les dents de la mer!
A la fin on est tous revenus sur la berge et Bob a suggéré qu’on enchaine avec le tir au fusil. Ça, ça me plaisait déjà beaucoup plus, parce que j’ai toujours été fan de westerns. D’ailleurs Bob nous a refilé des carabines et la mienne, c’était une réplique de Winchester comme celle de Josh Randall (sauf que le canon était pas scié, trop dommage). Je me suis bien marrée à faire jouer la culasse, « clac-clac », « clac-clac » pour faire comme Steve McQueen, et j’ai pas fait exprès de coincer mon annulaire dedans. Ça a fait « Shlak! » et Loutre m’a dit par la suite que j’imitais trop bien le brame du cerf en rut.
- Bon, a dit Bob, on laisse tomber le tir, on va terminer par un truc moins physique…la construction d’une mine antipersonnel artisanale.
Et ils nous a montré comment faire avec un bout de tuyau, un ressort, un tube en métal et de la poudre (y’a d’autres ingrédients mais j’ai oublié, je suis pas très forte pour les recettes de cuisine).
Déjà que je loupe mes endives au jambon, tu te doutes bien que j’ai pas trop réussi ma grenade ou je sais pas quoi. Ça ressemblait pas du tout à ce que Bob venait de terminer, on aurait dit un knacki Herta pas frais.
- Tu as utilisé un peu trop de longueur de tuyau, a dit Bob.
- Je vois pas ce qui te fait dire ça, j’ai dit en enroulant ma mine antipersonnel autour de ma taille.
- …..
- A’gade, Loutre, j’ai fait une ceinture d’explosifs!
- Trop bien, a dit Loutre, va te faire péter quelque part entre Poul-Fetan et Locmariaquer, ça nous fera des vacances.
- Ha ha ha, c’est de la pure jalousie, j’ai dit, tout ça parce que ta mine à toi elle est toute pourrie, même si on faisait passer Marianne James dessus elle exploserait pas!
- Tu veux savoir si elle explose, ma mine? Tu veux savoir?
Bob essayait de calmer la tension subite qui s’était immiscée subrepticement (j’aime les mots un peu compliqués) dans notre relation de couple, mais c’était trop tard, Loutre venait de me balancer son pauvre machin et moi je tirais la langue en imitant la guenon infirme motrice cérébrale, et puis il y a eu un grand bruit, un nuage de poussière, et j’ai eu l’impression que tous les motards de la Madone me passaient dessus avec leurs bécanes japonaises.
Moi j’aime bien ces après-midi entre amis à la campagne, ce sont des moments privilégiés où tu découvres plein de choses sur toi-même, comme par exemple ta résistance à l’eau froide, au vin blanc et à la poudre noire sous pression.
Aussi, tu découvres des endroits que tu n’aurais pas forcément eu l’idée de visiter sans ça, comme le Centre Hospitalier du Pays de Ploërmel, dont je te recommande chaudement le kig ar farz servi aux Urgences.
Filed under: A propos de la Nature, du retour à la terre et de toutes ces conneries