Le calendrier est parfois bien fait. Alors que Les Goonies de Richard Donner ressort en salles en copies neuves, Super 8 de JJ Abrams débarque partout en France. Un film culte de mon enfance refait surface, tandis qu’un film qui s’est nourri de ce cinéma étale une filiation évidente, avec pour point commun, un producteur : Steven Spielberg. J’ai rêvé des deux. J’ai rêvé de voir pour la première fois dans une salle de cinéma ce film qui a émerveillé mon enfance. Ils étaient quelques uns ainsi, dans les années 80 et 90, à transporter le jeune spectateur que j’étais dans l’univers fascinant du cinéma à hauteur d’enfant. Mais Les Goonies, je l’ai vu plus encore que L’histoire sans fin ou Princess Bride. Ma sœur et moi le regardions régulièrement, religieusement, même si à l’époque religieusement signifiait le regard pétillant du désir d’aventures exalté par le film, et commentant le film en mimant les répliques (aujourd’hui, « religieusement « , ce serait plutôt dans le silence le plus total…). Notre vieille VHS a tourné sans fin jusqu’à nous faire connaître par cœur les répliques de Mickey, Data, Bagou et Choco.
Je les regardais, ces Goonies, cette bande de potes d’une douzaine d’années partant pour une chasse au trésor dans leur petite ville, une chasse au magot d’un vieux pirate légendaire qui les fait se mesurer à une famille de criminels, une chasse au trésor leur faisant goûter au danger pour tenter de sauver leur ville de la destruction, pour tenter de maintenir l’unité de leur bande, et éviter qu’elle ne se trouve éclatée par un déménagement. Ils partent ainsi à travers forêt et maison délabrée, tunnels et grottes, psychopathe doux dingues et monstres pacifiques.
Ces Goonies, il était hors de question que je n’aille pas les redécouvrir sur grand écran, en copie neuve, même s’ils ne s’exposaient que dans une salle parisienne (le Publicis pardi), même s’il n’y avait qu’une séance par jour, même s’il ne restait plus qu’un jour pour le voir. Ces Goonies sur grand écran, c’était un des films que j’attendais le plus cet été, même si j’avais partagé leurs aventures des dizaines de fois, quinze ou vingt ans plus tôt, sur la télé de mon enfance. A l’époque, notre enregistrement n’avait pas tout à fait fonctionné, et sur notre vidéo manquaient les dernières minutes du film. Alors que Mickey et sa bande étaient en train de s’échapper de la grotte s’effondrant, le film se coupait, nous empêchant de voir si les Goonies allaient s’en sortir, s’ils allaient tout de même réussir à sauver la maison des parents de Mickey. Mais cela ne nous empêchait pas de l’adorer, et de le re-regarder quelques semaines plus tard.
Cette fin, je l’avais finalement découverte en DVD, il y a quelques années. Mais aller redécouvrir ce film cher à mon enfance avec mes yeux d’adulte, dans une salle obscure, fut un moment de jubilation à la hauteur de mes souvenirs. Cette VF que je connaissais sur le bout des doigts, Data et ses inventions, Bagou et sa tchatche en espagnol, Cinoque et son amour pour Choco, tout était là et plus encore. Avec le recul des années, j’ai peut-être vu Les Goonies d’un autre œil, celui qui m’a fait réaliser pourquoi ce film me subjuguait tant étant enfant. Je n’étais sûrement pas le seul, étant donné que la salle était quasi exclusivement remplie de garçons et de filles ayant grandi dans les années 80, visiblement nourris aux Goonies comme je l’ai été avec ma sœur.
Mais au-delà de l’aventure, voir le film sur grand écran, 25 ans plus tard, m’a fait prendre conscience que moi aussi, j’ai eu mes Goonies. Cette bande de potes qui étaient comme les cinq doigts de la main, toujours ensemble, toujours les uns chez les autres. Moi aussi j’ai eu mes Goonies. Sauf que tous les trésors du monde n’auraient pu me garder à eux, et que je les ai perdus sans que j’y puisse rien. Les obstacles n’ont pas été insurmontables. Les années ont passé, et si j’en ai retrouvé quelques uns, cette amitié ne sera plus jamais comme avant. Mais je l’ai revécue à chaque fois que j’ai mis la cassette des Goonies dans le magnétoscope de ma mère, et il y a quelques jours, je l’ai revécue en allant voir le film sur grand écran.
C’est là que réside les grandes qualités de certains films. On ne les regarde pas, on les vit. On ne les voit pas d’un œil extérieur, ils nous happent en eux, et nous font vivre l’aventure comme si nous en faisions partie. Plus de 25 ans après Les Goonies, Steven Spielberg producteur a remis ça en produisant Super 8 de JJ Abrams. Un film qui figurait en début d’année parmi ceux que j’attendais le plus pour 2011. Parce que Abrams a réalisé Star Trek et créé « Lost », parce qu’il a su réaliser son film dans le plus grand mystère, parce que les rumeurs le concernant étaient alléchantes. Et parce que finalement, une fois que les premières images furent dévoilées, j’y ai vu la possibilité que ce soit un héritier de ce cinéma qui me faisait vibrer enfant.
Et c’est effectivement ce que j’ai trouvé dans Super 8. Il a fait renaître en moi l’enfant des années 80 comme l’avait fait Les Goonies quelques jours plus tôt. Encore une fois, il était question d’une bande d’amis dans une petite ville provinciale, ici dans une Amérique de la fin des années 70 encore empreinte d’une atmosphère de Guerre Froide. Cette petite troupe de collégiens tournent un court-métrage un soir, près de la voie ferrée, lorsqu’un train militaire entre en collision avec une voiture et déraille. Quelque chose s’échappe de la carcasse du train. Quelque chose qui va semer la panique en ville, et y amener une colonie de militaires.
Évidemment, on pense au cinéma de Spielberg. Rencontres du 3ème Type, E.T… Évidemment on pense à ces films d’aventures comme Les Goonies, justement. Évidemment, ça pourrait n’être qu’un hommage distant et pas à la hauteur de ses références. Mais JJ Abrams ne se contente pas de connaître ses classiques, il sait se les approprier, et en sortir un film excitant et émouvant, où les personnages ont tout autant leur place que le mystère, le suspense et l’action. Il parvient à ne pas empêtrer son film dans un pathos américain imbuvable comme c’aurait pu être le cas. Entre justesse et sensibilité, mélancolie et amertume, enfants et parents forment un noyau de personnages auquel on s’accroche et s’attache.
Je ne suis plus un Goonies, et mes yeux d’adultes perçoivent des défauts que je n’aurais pas perçus 15 ans plus tôt. Des ellipses un peu trop voyantes dans la narration, des personnages laissés de côté trop longtemps avant qu’on ne les rattrape. Des petits trous qui font que non, Super 8 n’est pas parfait, loin s’en faut. Mais l’aventure qu’il offre est plus qu’un bon spectacle hollywoodien. C’est un film sur l’enfance et ses désillusions. Sur l’amertume de la perte. La difficulté d’achever son deuil. C’est une invitation à l’apaisement et au rêve, quel qu’il soit. Que l’on ait été un rêveur dans son enfance ou qu’on soit prêt à le devenir sur le tard. Et en plus, il offre un beau rôle à Kyle Chandler.
J’ai été un Goonie. Peut-être en suis-je encore un. Si j’en étais un à hauteur d’enfant aujourd’hui, je rêverais de Super 8, et m’apprêterais à passer quelques années à le regarder en boucle sur la télé du salon. Avec ou sans la fin. Aujourd’hui je ne suis plus qu’un ex-Goonie, et cela me suffit à regarder Super 8 avec les yeux pétillants. Et à le quitter avec le cœur qui bat.