Les mots de la politique (10) : Sarkozy, Aubry, « Règle d’or »

Publié le 15 août 2011 par Variae

Nicolas Sarkozy avait lancé dans le débat public l’expression de « règle d’or » ; Martine Aubry l’a définitivement validée, en la reprenant ce week-end à son compte dans une tribune publiée dans Le Monde. Peu importe que cela soit en fait pour critiquer le fond de la proposition politique du Président de la République. Une fois prononcés, les mots vivent leur vie et structurent les échanges indépendamment de l’intention présidant à leur énonciation. Ils sont riches de connotations qui pèsent infiniment plus, sur le long terme, que la tribune qu’ils étaient censés introduire. Surtout quand ils s’inscrivent dans une offensive de communication massive du camp adverse.

J’ai été frappé, la première fois que j’ai entendu parler de cette « règle d’or », par le caractère profondément non-politique de ce terme. Non pas qu’il ne soit pas politiquement habile, mais il se situe à mille lieues de toute la novlangue de bois politicienne, d’inspiration technocratique, dont je m’amuse régulièrement dans mes « Mots de la politique » sur Variae. Cette « règle d’or » est en fait d’autant plus politique qu’elle ne sonne pas politique, et parle donc potentiellement au plus grand nombre. On parle d’ordinaire de règle d’or dans un registre professoral – on énonce des « règles d’or » (10, 7 …) pour « réussir son couple » ou « son blog » dans la presse spécialisée – ou dans un registre moralo-religieux – l’éthique de la réciprocité ; bref, dans tout ce qui a trait à la prescription. Le « d’or » renvoie en outre à une dimension d’exemplarité et d’harmonie : « l’Âge d’or », bien entendu, mais aussi le fameux « nombre d’or », censé donner la clé de l’équilibre pour une construction. C’est une expression aussi puissamment évocatrice que floue sur son contenu exact – l’inverse, par exemple, du « non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux ». Elle induit un basculement du registre de la politique gestionnaire quotidienne au registre, presque, du sacré, ce qui est probablement voulu et lié à la tentative de « re-présidentialisation » de Nicolas Sarkozy.

Ceci pour l’or. Qui ne doit pas faire oublier la règle. On parle ici d’encadrer, de réguler l’action politique. L’intention n’est pas scandaleuse en soi, mais ne survient pas dans n’importe quel contexte. Nous sommes plongés depuis trois ans dans une crise financière et économique dont on nous explique – Nicolas Sarkozy le premier, dans son mémorable discours de Toulon – qu’elle est la conséquence du laisser-faire, du libéralisme échevelé et de la dérégulation de l’économie financiarisée. On pourrait donc se dire que la priorité politique du moment est bien de poser des « règles », mais à la finance. Le tour de force de la droite est au contraire de focaliser le débat sur la régulation de l’action de … l’Etat, alors même que se déchaînent les spéculateurs en parallèle ! La règle d’or répond à la loi d’airain des marchés. La puissance publique se trouve ainsi confortée dans la place qu’entendent lui donner les agences de notation – sur le banc des accusés. Sans compter qu’on renforce l’idée que l’urgence serait d’entraver la politique, alors qu’elle n’a jamais eu autant besoin d’être inventive et de renverser la table.

Cette « règle d’or » pour le budget de l’Etat a tout d’une bombe sémantique à retardement, qui redouble le piège politique tendu par la droite à l’opposition sur la question de la dette. La dernière chose à faire, pour la gauche, est donc de reprendre ce terme, même dans l’espoir illusoire de se l’approprier. Accepter les mots de l’adversaire, comme l’a fait Martine Aubry, c’est leur (et donc lui) donner un peu plus de poids ; c’est, au bout du compte, accepter son cadre pour le débat.

Romain Pigenel

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