Dans une interview au JDD, Martine Aubry détaille son plan anti-crise et ses solutions pour enrayer la hausse des déficits publics.
Face à la crise, que feriez-vous si vous étiez au pouvoir?
La croissance est à 0%, le chômage ne cesse d'augmenter, le déficit commercial est abyssal dans un contexte d'endettement
très élevé. Les résultats sont mauvais car la politique est mauvaise. Il faut en changer. Bien sûr il y a la crise, mais comme la Cour des comptes l’a montré, les 2/3 des déficits sont dus à la
politique de M. Sarkozy. La France souffre d'un triple déficit, déficit de finances publiques, déficit d’emploi, déficit de compétitivité. S’attaquer à l’un, sans les deux autres est une
impasse. Il n’y a pas de temps à perdre. Aussi je propose trois mesures immédiates : pour réduire l'endettement, supprimer 10 milliards de niches fiscales sur les 70 milliards créés depuis 2002
; en parallèle, pour relancer la croissance, baisser à 20% l'impôt sur les sociétés qui réinvestissent notamment les PME et le monter à 40% pour celles qui privilégient les dividendes ; enfin,
financer un plan d'action pour l'emploi des jeunes en supprimant les subventions absurdes aux heures supplémentaires qui bloquent les embauches dans un pays qui souffre du chômage. Les Français
doivent savoir que ce chemin existe qui permet de sortir de la crise et de retrouver un pays fort et juste. A l’inverse, la Grèce a montré aux pays européens qu’une politique d'austérité
brutale mène à la récession sans régler les déficits publics.
Ne croyez-vous pas que Nicolas Sarkozy pourrait taxer les grandes entreprises ou réduire les niches
fiscales?
Je ne sais pas ce que sont les intentions de M. Sarkozy, mais je sais qu’aujourd’hui il n’agit pas, en se contentant comme
souvent d’une vaste opération de communication sur une pseudo "règle d'or" qui ne règle rien. La question n'est pas de savoir s'il faut inscrire dans la constitution ou dans la loi je ne sais
quelle règle théorique, mais bien d'agir maintenant pour faire repartir la France de l’avant. Cela fait trois ans que Nicolas Sarkozy nous dit qu'il va réguler le système financier, il a été
président de l'Union européenne, il préside le G 20 et rien n’est fait. Je dis au président, je fais des propositions. Dans une démocratie, quand cela va mal, on discute avec l’opposition.
C’est ma conception d’une présidence ouverte.
Il a réuni cette semaine ses ministres et peu après la bourse a plongé. Face à la spéculation,
faut-il de la communication ou de la discrétion?
Face à la spéculation, il faut de la sérénité et de l'action. La réunion de mercredi n’a apporté ni l’une, ni l’autre. En
voulant faire de la mise en scène, Nicolas Sarkozy s’est pris les pieds dans le tapis. Mais je ne veux pas polémiquer. Ce qui m’importe, c’est le bien de mon pays, ce sont les décisions qui
doivent être prises dans les jours qui viennent.
Vous promettez de revenir à 3% de déficit en 2013. Quelle est votre recette
miracle?
Je prends un engagement très fort : affecter 50% des marges de manœuvre financières –suppression des niches fiscales,
croissance- à la réduction des déficits, et 50% au financement d’investissements d’avenir c'est-à-dire aux priorités que j’affirme : emploi -tout pour l’emploi-, l’éducation, la sécurité. Je
veux une gauche sérieuse et ambitieuse : sans ambition, rien ne change, sans sérieux rien n’est possible.
Vous dites au chef de l'Etat “appliquez mes solutions”, s'il ne le fait pas et que vous êtes élue
en 2012, comment en six mois allez vous réduire le déficit?
J’engagerai ce chemin vertueux qui trouve le bon équilibre entre réduction des déficits, relance de la croissance et de
l’emploi, renforcement de notre compétitivité. J’ai fait des propositions pour l’avenir qui allient efficacité et justice : réforme fiscale, politique industrielle, renforcement de la
recherche, développement durable, accès des français à l’égalité réelle engageant une profonde réforme des services publics… Les propositions qui relèvent d’une action européenne, je les ai
discutées depuis trois ans et je les porte avec les partis socialistes et sociaux-démocrates européens.
La France risque-t-elle de perdre son triple A?
Ce qui est sûr, et les agences de notations le savent, c’est que l'austérité sans croissance tout comme la croissance sans
sérieux budgétaire ne mène à rien. Ceci dit, il est temps que les politiques reprennent le pouvoir sur la finance et qu’en matière de notation, soit créée une agence indépendante des
banques.
Faut-il faire payer les peuples ou les banques?
Je défends la création d’une taxe européenne sur les transactions financières de 0,05% : cela limitera la spéculation et
apportera 200 milliards d’euros pour réduire les dettes et financer une partie des investissements d’avenir. Mais la question n'est pas de chercher des boucs émissaires mais bien "quel est le
chemin pour sortir de la crise et redonner un sens à notre pays". On a bien fait de secourir les banques en 2008, mais il aurait fallu que l’Etat entre dans leur capital pour orienter
l’argent vers l’économie et les PME, et de la régulation pour enrayer la spéculation. Souvenez-vous du discours de Toulon de Nicolas Sarkozy contre les banquiers voyous, qu’en reste-t-il? Rien.
Les discours, cela suffit. Il faut maintenant agir.
La crise change-t-elle la donne politique?
La crise réclame de l'expérience, du courage, de la confiance. Aujourd’hui, beaucoup préfèrent la communication à l’action.
A la tête de l’Etat, il faut quelqu’un qui allie expérience et courage, qui fasse des choix justes et pour cela, qui incarne les valeurs de notre pays.
François Hollande se pose en père la rigueur et vous?
Le sérieux dans la gestion comme l'honnêteté en politique sonnent pour moi comme deux évidences. C'est ce que j'ai appris
et toujours fait. J'ai rétabli les comptes de la Sécurité sociale tout en créant la CMU. J'ai désendetté ma ville sans augmenter les impôts et en accroissant les investissements. En matière de
sérieux, je crois que j´ai fait mes preuves. Je le redis, je veux une gauche sérieuse mais aussi ambitieuse. C’est la condition pour réduire le chômage – et je mettrai le paquet sur l’emploi -,
pour porter haut l’éducation et pour réconcilier les Français.
Êtes-vous vraiment différente de lui?
Nous sommes tous les deux socialistes. Nos parcours ne sont pas identiques, nos tempéraments sont différents. J'affiche
clairement mes priorités, les chemins pour les réaliser et aussi une méthode : écouter, débattre, décider, rassembler. C'est ce que j'ai fait au PS depuis trois ans, ce que j’ai fait avec nos
partenaires de la gauche, ce que j'ai fait avec les socialistes européens.
Cécile Amar - Le Journal du Dimanche