Les marchés sont à la baisse depuis la fin juillet. Sommes-nous face à une crise durable ?
Ségolène Royal : Oui, si rien n’est fait. Non, si l’on se bouge. Lors de la très grave crise de 2008 l’occasion n’a pas été saisie de changer les règles du jeu. Il faut avoir le courage de reconnaître que ce n’est pas seulement une crise financière, mais aussi une crise de civilisation. Nous devons construire ce que j’appelle un ordre international juste dans lequel les banques obéissent et cessent de mordre la main qui les a nourries, à savoir les Etats et donc les peuples qui souffrent ! Après avoir beaucoup consulté avec mes équipes, j’ai fait depuis trois ans des propositions concrètes pour remettre la finance au service des entreprises et de l’emploi. Je les ai redites la semaine dernière en décrivant les sept plus urgentes.
Les Etats occidentaux n’ont-ils pas vécu au dessus de leurs moyens ?
SR : Il faut toujours contrôler le bien fondé des dépenses. Ce que je propose, c’est que les dépenses nouvelles soient gagées
par des économies. Nous sommes présidés par ‘le président-déficit ‘: il a plus que doublé le déficit public, en grande partie à cause des cadeaux fiscaux aux grandes fortunes. Je propose
l’ouverture d’Etats généraux sur la réforme des prélèvements et de l’impôt puis un référendum pour stabiliser les règles pendant cinq ans. L’Etat s’est aussi surendetté en renflouant les banques
sans aucune contrepartie. Je propose l’entrée de l’Etat au capital des banques qui sont aidées et l’interdiction de la spéculation sur les dettes publiques. Dans les pays qui contrôlent le
système bancaire, la croissance est au rendez-vous.
Nicolas Sarkozy a de nouveau demandé aux socialistes de voter la règle d’or. Ne pensez-vous pas que la gravité de la situation exige une consensus sur cette question ?
SR : Les Français sont intelligents et donc fatigués des effets d’annonce. Comme eux, je veux des solutions. C’est pourquoi je propose de commencer par lutter contre les injustices fiscales et la fraude. Il y a différentes façons d’atteindre 3% du PIB en 2013. Le refus du président de la République d’en débattre est un aveu de faiblesse.
Nicolas Sarkozy annoncera des décisions le 24 août concernant le budget 2012…
SR : Mais pourquoi attend-il ? Déjà il a un temps de retard. Il faut lier la politique budgétaire et fiscale avec la remise en ordre du système. Le conseil européen du 21 juillet était une date clef, rien de concret n’en est sorti alors que l’on sait ce qu’il faut faire, comme par exemple interdire les ‘ventes à nu’ spéculatives. C’est cette inertie qui est directement coupable de la crise de ce mois d’août, comme je l’avais dit à ce moment là. Ces sommets, en coup de vent, clic clac photo, ne donnent rien de bon. Ce n’est pas sérieux. Il faut travailler plusieurs jours d’affilé et rendre des comptes. Si je suis élue, je changerai les méthodes de travail pour les adapter aux nouveaux défis européens.
La zone euro est-elle menacée ?
SR : Non, c’est bien plus grave. Ce qui est menacé, c’est le niveau de vie des gens et l’emploi. Regardez monter les révoltes sociales. Tant de masses financières d’un côté, et de montée du chômage de l’autre. On s’en prend aux services publics, à la retraite, au niveau des salaires…Et donc on creuse la crise. Alors qu’il y a des solutions pour mettre la finance au service de l’activité. Par exemple, je demande à l’autorité des marchés financiers de publier la liste des organismes financiers qui ont spéculé contre les Etats. Pourquoi cette connivence par le silence ?
Pensez-vous que les troubles en Grande-Bretagne sont une manifestation de la crise actuelle ?
SR : Je condamne toute violence. Il y a des points communs avec les mouvements des Indignés. C’est une soif de dignité, de justice, de démocratie, et d’amélioration du niveau de vie. Tous ces mouvements reflètent la même aspiration à une société plus humaine qui protège et qui avance, celle pour laquelle je me bats. Dans toutes ces sociétés, il y a un malaise face à des catégories qui augmentent de façon insolente leurs richesses. Cela, les gens ne l’acceptent plus, car ils savent qu’une société plus juste est aussi plus efficace. Ils veulent des dirigeants qui cessent de promettre et agissent.
Le ministre de l’Intérieur Claude Guéant veut atteindre 30 000 reconduites à la frontière en 2011. Cela vous choque ?
SR : Ce qui consterne ce sont encore des effets d’annonce au coeur de l’été, sur un terrain exploité pour la prochaine échéance électorale. Sans qu’il y ait la moindre évaluation des décisions antérieures . C’est une prise en otage des immigrés. Dans ces domaines, la loi doit être appliquée, c’est tout. Sans en faire un sujet de spectacle et d’exploitation de la misère de gens pour faire oublier l’échec cuisant sur la sécurité, domaine dans lequel je propose des solutions efficaces.
Approuvez-vous la proposition de l’UMP de créer un fichier des bénéficaires d’allocations sociales ?
SR : Les démocrates doivent se méfier des fichages. Pour lutter contre la fraude, vérifions les critères d’attribution des
allocations et sanctionnons . Et surtout soyons aussi sévère contre la fraude fiscale des grandes fortunes choyées par ce pouvoir ! Un journal a dit récemment que Madame Bettencourt devait 30
millions d’euros au fisc. A-t-elle payé ? Au total c’est 45 milliards d’euros, chaque année de manque à gagner.
Cet été, vous êtes omniprésente et quasiment la seule candidate aux primaires du PS à faire campagne. Certains disent que,
distancée dans les sondages, vous jouez votre va-tout…
SR : Oui j’ai lu ça (rires). Laissons de côte ces remarques condescendantes. Je fais mon travail et mes efforts avec détermination et honnêteté. Je n’ai pas cessé depuis 2007aux plans régional, national et international. Aux fruits de ce travail s’ajoute l’expérience d’une campagne. Les sondages actuels sont des bulles spéculatives ? Vous savez, beaucoup d’électeurs ne savent pas qu’ils peuvent tous voter aux primaires sans être adhérents du Ps. Et les débats entre candidats n’ont pas commencé.
Vous le regrettez ?
SR : Bien sûr. Certains veulent peut être rester dans le confort des sondages. La démocratie ce n’est pas ça. C’est convaincre, débattre, comparer. Collectivement nous avons intérêt à ce qu’il y ait le plus grand nombre de votants pour donner un souffle à celle qui sera désignée.
Celle, dites vous ?
SR : Je vais prouver que je suis la plus forte et la plus expérimentée pour battre le président sortant , pour rassembler largement de l’extrême gauche aux centristes humanistes et aux gaullistes sociaux et surtout pour agir vraiment : la présidente des solutions. Pour que les indignés et les résignés apportent le meilleur d’eux mêmes au pays, en reprenant confiance.
Vous mettez souvent en avant l’expérience de votre dernière campagne. Mais vous l’avez perdue. Quelles erreurs ne referez-vous plus ?
SR : J’ai parfois donné l’impression d’improviser parce que le temps était court entre ma désignation et la campagne présidentielle. Tout le travail que j’effectue depuis 2007, me permet de lester toutes les solutions que j’avancerai. Certaines sont reprises par le programme du PS d’ailleurs ! La deuxième erreur, c’est d’avoir pensé que les socialistes qui avaient perdu la désignation se rassembleraient tous autour de leur candidate désignée. Je n’ai pas pris le temps, trop absorbée par la très dure bataille principale, de les prendre un à un par la main en leur disant «Allez on est tous ensemble pour l’emporter». Je le regrette et cette fois je ferai tout ce qu’il faut et nous serons heureux d’être unis, vous verrez. Autre erreur ? Je me suis trop laissée dénigrer. Par des gens qui, en plus, n’avaient aucune légitimité pour le faire n’ayant pas le dixième ou le centième de mes compétences et de ma loyauté Alors, ça, c’est fini, je ne le tolérerai pas. Plus personne ne m’abaissera car je n’ai jamais manqué de respect a quiconque pendant ces trente ans de vie politique, des sacrifices qu’elle demande, et du courage qu’elle requiert.
Propos recueillis par Frederic Gerschel et Rosalie Lucas | pour Le Parisien / Aujourd’hui en France