Cinq ans après la mort de ma grand-mère, je revenais pour la première fois dans sa maison d'Auvergne. J'avais oublié que j'aimais tant cet endroit. En ouvrant la portière de la voiture, l'odeur particulière me saisie violemment comme si une vague de souvenirs s'abattait sur moi. Une brèche dans la digue se fissurait et l'émotion s'engouffrait dans chacun de mes membres, mon sang vibrait. J'étais là et j'attendais qu'elle se précipite pour m'accueillir, j'espérais voir pointer la casquette de mon grand-père et son sifflement joyeux, je courais au portail pour sonner la cloche. Plus de cloche.
Tout a changé. Rien a changé.
Ses rosiers voluptueux débordaient de partout, généreusement, sauvagement, fièrement comme des enfants longtemps aimés et qui auraient poussés droits en respect de sa mémoire. A l'intérieur, une odeur de moisi contrastait, le sol était glacial, les draps humides.
Dans la cuisine, je préparais une soupe à sa façon, une salade de tomates à l'ail et à l'échalote dans son saladier fétiche. Les mouches étaient restées là, trop contentes de goûter à ma vinaigrette vintage. Les couverts collaient. La table collait. Les assiettes collaient. Les verres avaient comme un goût...
Tout a changé. Rien a changé.
Dehors, je filais faire ma promenade jusqu'en haut du bourg. Je retrouvais ce petit moment d'émancipation de mon enfance, où comble de la liberté, j'étais autorisée après dîner à échapper à la surveillance des adultes pour faire cet aller-retour de 20 minutes, pendant lequel je vivais mes aventures intérieures les plus folles. Le paysage immuable, jusqu'aux tuiles des maisons et aux grillages tordus. J'avançais d'un pas conquérent en quête de sensations. Seule mon ombre s'était étrangement allongée. J'ai grandi.