Nous ne méprisons pas les humanités passées, nous n'avons ni cet orgueil, ni cette vanité, ni cette insolence, ni cette imbécillité, cette faiblesse. Nous ne méprisons pas ce qu'a d'humain l'humanité présente. Au contraire, nous voulons conserver ce qu'avaient d'humain les anciennes humanités. Nous voulons sauver ce qu'a d'humain l'humanité présente. (pp. 71-72)
Nous n'avons pas plus à vendre la terre que les chrétiens n'avaient à vendre le ciel. (pp. 73-74)
A propos des journalistes : "Nous, simples citoyens" vont-ils répétant. Ils veulent ainsi cumuler tous les privilèges de l'autorité avec tous les droits de la liberté. Mais le véritable libertaire sait apercevoir l'autorité partout où elle sévit ; et nulle part elle n'est aussi dangereuse que là où elle revêt les aspects de la liberté. (pp. 80-81)
La raison ne procède pas de la pédagogie. Nous touchons ici au plus grave danger du temps présent. Malgré la complicité des mots mêmes, il ne faut pas que la pédagogie soit de la démagogie. C'est la pédagogie qui doit s'inspirer de la raison, se guider sur la raison, se modeler sur la raison. (p. 87)
Aussitôt après nous commence un autre âge, un tout autre monde, le monde de ceux qui ne croient plus à rien, qui s'en font gloire et orgueil [...] le monde moderne. Le monde qui fait le malin. (p. 102)
Le mouvement de dérépublicanisation de la France est profondément le même que le mouvement de sa déchristianisation. C'est ensemble un même, un seul mouvement profond de démystication. (p. 102)
On prouve, on démontre aujourd'hui la République. Quand elle était vivante on ne la prouvait pas. On la vivait. Quand un régime se démontre, aisément, commodément, victorieusement, c'est qu'il est creux, c'est qu'il est par terre. (p. 107)
Nous croyons au contraire (au contraire des uns et des autres, au contraire de tous les deux ensemble) qu'il y a des forces et des réalités infiniment plus profondes, et que ce sont les peuples au contraire qui font la force et la faiblesse des régimes ; et beaucoup moins les régimes, des peuples. (p. 112)
Ces élections sont dérisoires. Mais l'héroïsme et la sainteté avec lesquels, moyennant lesquels on obtient des résultats dérisoires, temporellement dérisoires, c'est tout ce qu'il y a de plus grand et de plus sacré au monde. [...] Tout commence par la mystique, par une mystique, par sa (propre) mystique, et tout finit par de la politique. (p. 115)
il importe peut-être, il importe évidemment que les républicains l'emportent sur les royalistes, ou les royalistes sur les républicains, mais cette importance est infiniment peu, cet intérêt n'est rien en comparaison de ceci : que les républicains demeurent des républicains ; que les républicains soient des républicains. (p. 116)
Quand on voit ce que les réactionnaires ont fait de la sainteté, comment s'étonner de ce que les révolutionnaires ont fait de l'héroïsme. (p. 117)
Le débat n'est pas entre un ancien régime, une ancienne France qui finirait en 1789 et une nouvelle France qui commencerait en 1789. Le débat est beaucoup plus profond. Il est entre toute l'ancienne France ensemble, païenne (la Renaissance, les humanités, la culture, les lettres anciennes et modernes, grecques, latines, françaises), païenne et chrétienne, traditionnelle et révolutionnaire, monarchiste, royaliste et républicaine, - et d'autre part, et en face, et au contraire une certaine domination primaire, qui s'est établie vers 1881, qui n'est pas la République, qui se dit la République, qui parasite la République, qui est le plus dangereux ennemi de la République, qui est proprement la domination du parti intellectuel. (p. 119)
Quand par impossible un homme de cœur discerne au point de discernement, s'arrête au point d'arrêt, refuse de muer à ce point de mutation, rebrousse à ce point de rebroussement, refuse, pour demeurer fidèle à une mystique, d'entrer dans les jeux politiques, dans les abus de cette politique qui est elle-même un abus, quand un homme de cœur, pour demeurer fidèle à une mystique, refuse d'entrer dans le jeu de la politique correspondante, de la politique issue, de la politique parasitaire, de la dévorante politique, les politiciens ont accoutumé de le nommer d'un petit mot bien usé aujourd'hui : volontiers ils nous nommeraient traître. (p. 127-128)
Notre première règle d'action, de conduite sera de ne point continuer aveuglément par-dessus le point de discernement une action commencée en mystique et qui finit en politique. [..;] Prendre son billet de départ, dans un parti, dans une faction, et ne plus jamais regarder comment le train roule et surtout sur quoi le train roule, c'est, pour un homme, se placer résolument dans les meilleurs conditions pour se faire criminel. (p.136)
Les mystiques sont beaucoup moins ennemies entre elles que les politiques ne le sont entre elles. (p. 138)
La politique se moque de la mystique, mais c'est encore la mystique qui nourrit la politique même. Car les politiques se rattrapent, croient se rattraper en disant qu'au moins ils sont pratiques et que nous ne le sommes pas. Ici même ils se trompent. Et ils trompent. Nous ne leur accorderons pas même cela. Ce sont les mystiques qui sont même pratiques et ce sont les politiques qui ne le sont pas. C'est nous qui sommes pratiques, qui faisons quelque chose, et c'est eux qui ne le sont pas, qui ne font rien. C'est nous qui amassons et c'est eux qui pillent. C'est nous qui bâtissons, c'est nous qui fondons, et c'est eux qui démolissent; C'est nous qui nourrissons et c'est eux qui parasitent. C'est nous qui faisons les œuvres et les hommes, les peuples et les races. Et c'est eux qui les ruinent. (p. 149)
Ceux qui se taisent, les seuls dont la parole compte. (p. 152)
Une mystique peut aller contre toutes les politiques à la fois. (p. 161)
La méconnaissance des saints par les pécheurs et pourtant le salut des pécheurs par les saints, c'est toute l'histoire chrétienne. (pp. 163-164)
La mystique est la force invincible des faibles. (p. 177)
A propos de Bernard-Lazare : Je ne sais rien de si poignant, de si saisissant, je ne connais rien d'aussi tragique que cet homme se roidisssant de tout ce qui lui restait de force se mettait en travers de son parti victorieux. (p. 192)
Bernard-Lazare disait plus simplement : On ne peut pas embêter les hommes parce qu'ils font leur prière. (p. 214)
Notre socialisme [...] n'était nullement antinational. Il était essentiellement et rigoureusement, exactement international. Théoriquement il n'était nullement antinationaliste. Il était exactement internationaliste. Loin d'atténuer, loin d'effacer le peuple, au contraire il l'exaltait, il l'assainissait. Loin d'affaiblir, ou d'atténuer, loin d'effacer la nation, au contraire il l'exaltait, il l'assainissait. Notre thèse était au contraire, et elle est encore, que c'est au contraire la bourgeoisie, le bourgeoisisme, le capitalisme bourgeois, le sabotage capitaliste et bourgeois qui oblitère la nation et le peuple. (pp. 217-218)
[...] qu'enfin il n'y a point de lieu de perdition mieux fait, mieux aménagé, mieux outillé pour ainsi dire, qu'il n'y a point d'outil de perdition mieux adapté que l'atelier moderne. (p. 221)
Une fois de plus deux partis contraires sont d'accord, se sont trouvés, se sont mis d'accord non pas seulement pour fausser le débat qui les divise ou paraît les diviser, mais pour fausser, pour transporter le terrain même du débat là où le débat leur sera le plus avantageux, leur coûtera le moins cher à l'un et à l'autre, poussés par la seule considération de leurs intérêts temporels. (p. 228)
Ainsi l'embourgeoisement par le sabotage suit une marche inverse de celle que nous voulions suivre. Et faire suivre. Nous voulions qu'un assainissement du monde ouvrier, remontant de proche en proche, assainît le monde bourgeois et ainsi toute la société, toute la cité même. Et il s'est produit au contraire, en fait il s'est produit qu'une démoralisation du monde bourgeois, en matière économique, en matière industrielle et en toute autre matière, dans l'ordre du travail et dans tout autre ordre, descendant de proche en proche, a démoralisé le monde ouvrier, et ainsi toute la société, la cité même. Loin d'ajouter, de vouloir ajouter un désordre à un désordre, nous voulions instaurer, restaurer un ordre, un ordre nouveau, ancien ; nouveau, antique ; nullement moderne ; un ordre laborieux, un ordre du travail, un ordre ouvrier ; un ordre économique, temporel, industriel ; et par la contamination pour ainsi dire remontante de cet ordre réordonner le désordre même. (p. 232)
La discipline des anarchistes, par exemple, fut notamment admirable. (p. 252)
Les fondateurs viennent d'abord. Les profiteurs viennent ensuite. (p. 257)
A propos du monde moderne : Il est beaucoup plus une maladie naturelle. Deuxièmement cette maladie naturelle est beaucoup plus grave, beaucoup plus profonde, beaucoup plus universelle. Nul n'en profite et tout le monde en souffre. (pp. 267-268)
La République serait le régime de la liberté de conscience pour tout le monde, excepté précisément pour les républicains. (p. 299)
Je ne serais pas surpris qu'un imbécile, et qui manquerait de sens historique trouvât ce ton un peu ridicule. Il est passé. Ces hommes, qui avaient ce ton, ont fait de grandes choses. Et nous ? (p. 301)
On ne fonde, on ne refonde aucune culture sur la dérision et la dérision et le sarcasme et l'injure sont des barbaries. (p. 302)