«Les partis doivent se conduire d’une manière à redonner au peuple confiance dans la politique et les politiciens, en étant égaux en argent et médias, afin qu’ils fassent parvenir leurs programmes au citoyen sans mystification, et que celui-ci puisse choisir avec liberté et objectivité». C’est en ces mots que Moncef Marzouki, président du Congrès pour la République (Tunisie), justifie sa volonté d’interdire les publicités pour les partis politiques. Selon lui et d’autres défenseurs de la démocratie, la publicité politique favorise les gros partis, et pose un danger à la démocratie.
Les pays africains, comme tout autre pays du monde, doivent faire un choix quant à l'étendue de la liberté d'expression qu'ils veulent autoriser. Il est vrai que les "grands" partis ont davantage de moyens financiers pour produire de la publicité politique de masse. La liberté d'expression, une des valeurs fondamentales de la démocratie et des sociétés libérales, ne devrait jamais voir son terrain d'expression miné. Les seules circonstances qui, à mon avis, justifient une limitation de la liberté d'expression sont celles qui posent un danger à la survie de la démocratie libérale.
En Afrique, comme dans nombreux autres pays, la liberté d'expression, fruit d'une société ouverte à la pluralité des opinions, sonne souvent le glas (malheureusement et paradoxalement) de la tolérance. Ce paradoxe puise ses sources dans les fondements de la démocratie. En tant qu'expression du pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple, la démocratie, au sens minimal du terme (i.e. tenue d'élections, libres et régulières), n'est pas la clef d'une société juste. En effet, mieux vaut vivre dans une monarchie absolue où le Souverain respecte les droits de l'homme, assure la justice et le bien-être des citoyens, que dans une démocratie strictement électorale où les élus se contentent d'opprimer la population.
Les pays africains, en particulier ceux ayant connu récemment des révolutions (Égypte, Tunisie), ont plus ou moins le potentiel d'être des démocraties électorales. C'est à tout le moins cette tendance de la démocratisation qui est en vigueur depuis le début des années 1990. En revanche, la démocratie libérale est quant à elle quasiment absente du continent africain. Caractérisée par la tenue d'élections libres et régulières, mais également par la présence d'un État de droit, d'une séparation des pouvoirs, et d'un contrôle de la constitutionnalité des lois, la démocratie libérale peine à s'installer en Afrique. La Tunisie sort présentement d'une ère au cours de laquelle un despote régnait de façon arbitraire, sans intégrer les diverses revendications de la société civile au sein de la formulation de ses politiques. Maintenant Ben Ali parti, la société tunisienne se situe dans un courant d'incertitude, où le populisme et le bouillonnement d'idées, souvent contradictoires entre elles, laissent planer un point d'interrogation au-dessus de l'avenir du pays. Les partis politiques dotés de moyens financiers considérables peuvent se permettre d'influencer l'opinion, et d'attirer les grandes masses à leur cause. La liberté d'expression ne pose donc pas en soi un problème au fonctionnement démocratique d'un régime, tant et aussi longtemps que les citoyens sont libres de voter pour le parti de leur choix le jour du scrutin. En Tunisie, le fait d'interdire la publicité pour les partis politiques ne risque pas de changer grand chose. En outre, la publicité n'est qu'un moyen d'influencer l'opinion publique parmi tant d’autres. Les partis islamistes, qui regroupent déjà un grand nombre d'adhérents à leur cause, trouveront toujours un autre moyen pour recruter des militants. En soi, les partis islamistes ne constituent, objectivement parlant, aucune menace pour la société, pas plus que les partis communistes d'Europe ne menacent le bon ordre des États. Dans un pays où règnent un État de droit, un pouvoir judiciaire fort, et une séparation des pouvoirs, le parti en place voit son pouvoir balisé par des contrôles constitutionnels, et par des mécanismes de poids et contrepoids. Dans les pays comme la Tunisie, le danger tient au fait que ces principes fondamentaux de l'État de droit sont quasiment absents, ce qui permet au parti élu d'agir en quelque sorte à sa guise et sans retenue. En somme, les enjeux auxquels font face la Tunisie et d'autres pays du continent africain sont d'une très grande ampleur, et le débat autour de la liberté d'expression des partis politiques est bien loin de déterminer l'avenir et la solidité de ces démocraties.