LEMONDE.FR | 03.08.11 |
C'est à deux-trois rues du Stade de France, sur l'une des nombreuses friches urbaines que l'on trouve dans le quartier de la plaine Saint-Denis, à Aubervilliers. Le camp est circonscrit par un mur de tôles blanches derrière lesquelles, depuis deux mois, se serrent et survivent environ 200 Roms. Une poche de pauvreté dans un quartier en pleine mutation, à vocation résidentielle.
La plupart des Roms de ce groupe sont originaires d'Alexandria, une commune située au sud de Bucarest, près de la frontière bulgare. Coordinatrice de la mission banlieue de Médecins du monde, Jalila Bouzid s'accroche à son sillage depuis sa première installation, en 2007, dans un bidonville de Saint-Ouen. Elle lui apporte principalement des soins. Mais la chasse dont il est victime entrave le suivi médical que proposent les bénévoles de l'association humanitaire.
En quatre ans, le groupe a été expulsé d'Argenteuil, Bondy, Noisy-le-Sec, Rosny-sous-Bois, Le Blanc-Mesnil, Pantin, et puis, successivement au cours d'une même semaine, en mai dernier, de Bondy, La Courneuve, Sarcelles, l'île-Saint-Denis… jusqu'à Aubervilliers. "Ici, la police n'est pas intervenue dans les quarante-huit heures, ils ne peuvent donc pas être expulsés sans procédure", explique Jalila.
"NOUVELLES FORMES DE HARCÈLEMENT"
Selon elle, le discours du président Nicolas Sarkozy il y a un an à Grenoble n'a rien changé en termes d'expulsions, lesquelles étaient "déjà intensives depuis trois ou quatre ans en Seine-Saint-Denis", où seraient réfugiés dans une quarantaine de camps 3 000 des 15 000 Roms qui vivent en France. "Ces déploiements de forces de l'ordre n'ont aucun intérêt, insiste Jalila,puisque les groupes expulsés d'une commune s'installent dans celle d'à-côté le lendemain. Ça ne règle rien, ni pour les Roms, ni pour les gens qui voudraient les voir partir."
Ce que la coordinatrice de Médecins du monde relève en revanche, ce sont les nouvelles formes de harcèlement policier. "Elles se traduisent par des gardes à vue pour des motifs souvent fallacieux, jusqu'à la confiscation des instruments de musique lors des démantèlements de camps… La police, qui éventre les tentes et intervient d'ailleurs parfois avec des masques, espère par cette pression décourager les Roms de s'installer en France."
"MOI JE N'ESPÈRE PLUS RIEN"
Quand on arpente le camp d'Aubervilliers et que l'on discute avec ses résidents en sursis, leurs premiers mots témoignent de ce durcissement : "Pourquoi vous venez nous voir ?" interrogent les uns et les autres, méfiants. "Pour montrer notre misère, que les gens se moquent de nous et que la police nous retrouve ? attaque l'un d'eux. On nous gaze, on nous frappe, même nos enfants sont battus aujourd'hui."
L'homme tient d'ailleurs à montrer une vidéo sur son portable, des images d'une expulsion musclée à Stains il y a trois ans, pour appuyer ses dires. "Nous n'avons pas d'endroit où aller en Roumanie. Quand on trouve un ou deux kilos de ferraille pour la revendre, on nous met en prison. Ici on ne demande qu'un "platz" [un terrain], avec de l'électricité. Moi je n'espère plus rien, comme tous les anciens, d'ailleurs, mais on aimerait que nos enfants aient accès aux soins et qu'ils aillent à l'école."
Les témoignages sont concédés avec prudence, voire défiance. Personne ne veut donner son nom ni se faire photographier. Une femme sort de sa cabane, où toute la famille se partage un sandwich et une barquette de frites : "Les Français et les immigrés installés ici, Dieu les protège, sont plutôt bienveillants avec nous. Ils nous donnent quelques pièces quand on fait la manche, car on ne peut rien faire d'autre."
"ON RECOMMENCE TOUT"
Les associations comme Romeurope et Médecins du monde contestent les régimes transitoires qui limitent l'accès à l'emploi des ressortissants roumains ou bulgares, tout comme, pour les motifs possibles de reconduite à la frontière, le critère de "charge déraisonnable", qu'ils jugent contraire à la libre circulation au sein de l'Union européenne.
"On recommence tout le travail sanitaire qu'on a entrepris auprès des Roms lors des expulsions, lesquelles engendrent des ruptures de traitement d'autant plus inquiétantes pour des personnes atteintes de tuberculose, déplore Jalila. Car lorsqu'ils sont délogés, les Roms abandonnent dans l'urgence leurs effets personnels, y compris leurs médicaments ou leurs ordonnances."
Lors d'une récente enquête réalisée en partie en Seine-Saint-Denis, les intervenants de Médecins du monde ont constaté auprès de 281 Roms que 90 % d'entre eux – 71 % pour les moins de 2 ans – étaient vaccinés contre la diphtérie, le tétanos et la polio, alors que le DTP est obligatoire en France et que 99 % de la population est vaccinée. Par ailleurs, 42 % d'entre eux étaient vaccinés contre la tuberculose, une précaution fortement recommandée pour les migrants et les précaires. La mortalité néonatale, quant à elle, est de 5 à 9 fois supérieure à la moyenne française.
Vincent Barros