Les politiques, les Anglais d'abord, puis de nombreux autres, ont bien du mal à propager l'idée que les émeutes de Grande Bretagne seraient des faits de criminalité sans rapport avec un mouvement social.
D’observateurs plus objectifs, il ressort que le pays paye, tardivement mais clairement, ses trente années de thatcherisme et de loi de la jungle. Il me souvient d'un ami qui, dans les années 90, revenait de Liverpool où son travail l'avait entraîné, et qui me racontait son étonnement d'avoir vu dans les rues de nombreuses personnes avec des vêtements rapiécés, ce qui lui rappelait douloureusement l'occupation... .
Certes, des boutiques ont été pillées, des magasins vandalisés, des immeubles incendiés. Ceci dans un contexte que nous connaissons et qui se reproduit à l'identique dans tous les pays du monde et notamment chez nous : la mort d'un délinquant en contact avec la police. Même s'il n'a pas raison, et que la police ne l'a pas assassiné et n'a fait que son travail. Que ce soit à Bondy où deux « jeunes » qui roulaient en scooter à tombeau ouvert et sans casque ont refusé la priorité à une voiture de police, qu'à Aulnay-sous-Bois où deux autres se sont jetés sur un transformateur haute tension...On se souvient des nuits d’émeutes qui ont résulté de ces accidents, liste non limitative, à tel point qu'en jargon policier, « le syndrome de Bondy » est une expression couramment utilisée pour désigner ce qu'il faut à tout prix éviter si on engage une poursuite, voire pour exprimer la meilleure raison possible de ne pas l'engager...
Qu'importe l'étincelle, la rage d'en découdre est telle que le plus mauvais prétexte devient le bon. A tel point que la police, en Europe, hésite à se lancer dans une poursuite de peur qu'on lui en reproche la casse qui peut en résulter.
Et à cet égard, l'Angleterre des laissés pour compte du thatcherisme était mûre pour voir naître de telles émeutes, et s'expose à les voir se renouveler en refusant d'en reconnaître la teneur et en les regardant comme une sédition passible d'intervention militaire. On fait à peine mieux en Syrie! .
A côté de cela, les insurgés britanniques s'avèrent quand même un peu plus futés que nos pauvres pauvres hexagonaux, qui incendient leurs propres voitures et leur gymnase au pied de leur barre HLM. Eux, au moins, vont incendier des Jaguar dans les beaux quartiers. Ils ont du lire « L’insurrection qui vient ». à télécharger ici.
Ingrédient par ingrédient, le pouvoir britannique en a accumulé toutes les conditions : diminution de l'impôt, réduction drastique des allocations de toutes sortes, étranglement des associations et institutions sociales, abandon des foules à la communautarisation et à l'endoctrinement qui en résulte, traitement impitoyable des manifestations allant jusqu'à laisser mourir des grévistes de la faim. ( Irlandais, mais aussi des mineurs de charbon dans les années 80...), tour de vis sur les distractions ( fermetures des boites et pubs à 2h sans exception), (dont il a résulté les « raves-party » et les « free party »..), etc...
Accessoirement, souvenons nous de la « section 28 » promulgué par la dame de fer en 1988, qui interdisait tout événement présentant l'homosexualité sous un jour favorable, ce qui provoqua la fermeture de trois journaux, conduisit les écoles et municipalités à épurer leurs bibliothèques, à renoncer à promouvoir films, festivals et pièces de théâtre, et qui prévoyait même le retrait de la licence à tout établissement public (pub, night-club) qui faisait état, directement ou non, d'homosexualité dans ses activités, ses produits ou sa cible de clientèle. On en était dans les discothèques jusqu'à hésiter à passer certains disques...
Plus encore qu'en France, une fracture sociale divisa le pays, qui inspira de nombreux films. (The Full Monthy, Trainspotting, Billy Elliott, et presque toute l'oeuvre de Ken Loach...)
Je ne me lasse pas d'établir un parallèle entre l'attitude du gouvernement britannique et les politiques souhaitées par les duettistes Sarkozy – Marine le Pen qui semblent suivre sa trace avec assiduité.
Dans leur esprit, il n'existe pas de laissés pour compte, mais une cohorte de gens dépourvus des valeurs du travail et de l'effort. Il n'existe pas de chômeurs, mais un bataillon de paresseux et d'opportunistes. Ceux qui réclament un secours au titre de la solidarité nationale ne sont que des coureurs d'allocations. Et des assistés. Les moyens des états ne sont au service que des entreprises qui les utilisent pour délocaliser leur activité et acquérir des parts les unes des autres dans d'obscures et vaines orgies de cannibalisme financier.
Les impôts sont diminués. Ça n'améliore en rien la vie de ceux qui n'ont pas les moyens d'en payer, mais qu'importe puisque ce ne sont pas de « bons électeurs ». Cela favorise la prise de contrôle du grand nombre par le petit nombre, ce qui est bien le but recherché.
On n'a plus aucune honte à regarder les gens mourir de faim au bord des trottoirs. Même en France, les subventions du SAMU Social sont rabotées jusqu'à l'invalidation du système. Cela favorise la récupération du système caritatif par les églises, ce qui a le mérite d'occuper les esprits trop agités.
Comment, je suis dans la caricature ? Mais pas du tout ! Quel magnat de la presse britannique a défendu Margaret Thatcher becs et ongles pendant vingt cinq ans ? Rupert Murdoch... La récente actualité nous a montré avec quelles méthodes.
Que des manifestants dépourvus du plus élémentaire, qui survivent à la Charles Dickens, aillent piller des boutiques, ce n'est pas surprenant... Bien sûr, c'est de la délinquance, mais la plus élémentaire bonne foi oblige à la relier au contexte de misère qui est le ferment de cette agitation.
Souvenons-nous de cette réplique de Surcouf qui, capturé par un capitaine britannique, s'entend dire : « Nous, soldats, nous battons pour l'honneur, tandis que vous, flibustiers, vous battez pour l'argent », et répond : « On se bat toujours pour ce qu'on n'a pas »....
Eh bien oui, ils vont profiter du désordre pour s'emparer de ce qu'ils n'ont pas, téléviseurs, vêtements, etc... Oui, c'est du vol, mais le système qui alterne des îlots d'opulence et des foyers de misère n'est-il pas en lui-même une véritable provocation ?
Le système qui a conduit l'Angleterre où elle en est, comme celui de Reagan, comme la doctrine sarkozienne et comme le lepénisme, qui, au prétexte d'une obsession anticommuniste primaire, assimilent socialisme avec oisiveté, solidarité républicaine avec communisme, chômage avec assistanat, revendication avec escroquerie et manifestation avec sédition, encourage de tels débordements.
On voit même, en Europe, l’extrême droite passer la vitesse supérieure, et à défaut de penser pouvoir perpétuer le système, tenter de récupérer le mécontentement pour y asseoir son pouvoir. Marine LePen tente de se faire élire par une faction contre une autre, de prendre aux très pauvres pour donner aux très fauchés, bref d'établir un régime où un milieu ouvrier « choisi » contribuerait à perpétuer le système au détriment de plus misérable que lui, mais toujours sans toucher à la part grandissante des nantis.
Vous voulez de la « redistribution »? On va en faire !... Mais entre pauvres... Pas d'augmentation d'impôts, ce qui fait une belle jambe à ceux qui n'en paient pas... La kolossale finesse admirablement exploitée par Sarkozy dans sa campagne n'était-elle pas de faire croire aux pauvres qu'ils allaient devenir riches ? Et celle de Marine Le Pen de promettre aux pauvres "Français" le misérable bout de gamelle des immigrés? Si vous ne voyez pas de continuité dans ces processus, vous êtes un parfait gogo pour les populistes.
Le Maghreb se libère de la dictature. Le tour de la Méditerranée s'indigne. Les banlieues françaises s’enflamment pour un oui ou pour un non. L'obséquieuse Albion craque dans son système clanique compassé et entre en éruption. Et on voudrait nous faire croire qu’il n'y a là que hasard et délinquance ?