Hasard de la sémantique ou humour franchement douteux, comment une marque de compotes peut être involontairement assimilée à l’un dictateur les plus sanguinaires du
XXe siècle ?
Lors d’une de mes excursions dans
un hypermarché de banlieue, pour faire les réserves habituelles de nourriture et d’autres produits nécessaires à la quotidienneté de ma condition matérielle, j’avais découvert un produit
particulièrement adapté aux bébés (enfin, aux très jeunes enfants) mais également consommables par les plus grands (leurs parents ou leur fratrie par exemple).
C’est de la compote de
pomme. Classique mais qui est toujours appréciée par les enfants. Compote de quatre pommes. Compote avec de la framboise. Compote avec même des légumes comme la carotte.
Le produit se présente conditionné sous forme de petit sac métallisé avec une sorte de goulot à prendre directement dans la bouche. Un
intermédiaire entre un biberon et une gourde. Il peut aussi être conditionné autrement, notamment pour les plus gros volumes.
Un produit à grand succès
Vu le succès de cette compote, j’imagine que c’est une réussite non seulement commerciale mais également gustative.
Les ventes de la compote commercialisée par Materne (au CA de 190 millions d’euros en 2010) s’accroissent en effet de 20% chaque année
depuis 2005 selon le patron du groupe Michel Larroche : « Nous rajoutons une ligne de production par
an. ».
La mode de consommer des fruits, le procédé plus économique de fabriquer en même temps la gourde et la compote ont favorisé le produit qui
commence à s’exporter aux États-Unis, au Canada et en Israël : « Nous y vendons l’image d’un produit de snacking sain à base de
fruits. » se réjouit Charles Diehl, associé chez Activa Capital.
Activa Capital, c’est le fonds d’investissement qui fut le fondateur et le propriétaire de l’entité rassemblant Materne, les crèmes Mont
Blanc et le lait concentré Gloria (Nestlé avant 2003), pendant les sept dernières années et qui a revendu l’ensemble à un autre fonds en décembre 2010, ce qui lui a valu, le 28 mars 2011, le prix
de la "Meilleure sortie LBO" small cap à la 6e édition des Prix Capital
Finance.
Un étrange nom de marque
Mais alors, comment expliquer le nom de marque de ce produit très performant ? Les responsables marketing de Materne
étaient-ils des provocateurs ?
Ils ont appelé leur compote : "Pom’ Potes".
Ce qui, dans l’absolu, est assez causant. Signifie bien ce que cela veut dire. Ce nom évoque la pomme et la convivialité, certes.
Ce qui m’indispose, c’est qu’en lisant "Pom’ Potes", il m’est difficile de ne pas penser à… "Pol Pot". Et là, je trouve que l’humour de
ces markéteurs devient de très mauvais goût mais sans doute était-il involontaire. On trouvera un autre humour aussi noir dans les prochaines lignes. Pol Pot.
Petits rappels
J’ai eu l’occasion, hélas, de rencontrer en 1978 des réfugiés du Cambodge qui m’ont raconté ce qui sévissait depuis le 17 avril 1975
dans leur pays. Une dictature sans nom, des massacres horribles. Un véritable désastre humain : près de deux millions de personnes furent tuées sur les quelques sept millions que devaient
compter le pays à l’époque, soit un quart de la population totale.
La désencyclopédie en ligne résume froidement (et cyniquement) l’itinéraire : « Ce Cambodgien, ancien
professeur de français et amateur de Verlaine et d’Hugo, il se convertit à une profession assez en vogue au XXe siècle : génocideur. (…) Génocideur est un métier au principe simple : il
s’agit de tuer le plus de monde en moins de temps possible. Pol aurait lancé ce pari avec ses pot. ».
Pol Pot, le chef des Khmers rouges, a terrorisé tout un peuple. Né le 19 mai 1928, après des études en France, il a conquis militairement
le gouvernement (il est devenu Premier Ministre officiellement le 14 avril 1976) et il a dû quitter le pouvoir le 11 janvier 1979 après l’arrivée des troupes vietnamiennes.
Version désencyclopédique : « Son originalité, pour changer des
ringardes fausses douches ou du banal bricolage en Sibérie, a été de transformer au kärcher le Cambodge en immense rizière, afin d’épurer les villes de la racaille urbaine. (…) Mais en chiffre
absolu, le pari du nombre de morts était perdu, vu que Hitler avait fait au moins six millions de morts, tandis que Staline et Mao ne savaient même plus à combien de dizaines de millions ils en
étaient. ».
Pendant près de vingt ans, Pol Pot a réussi à se faire très discret, vivant apparemment dans la forêt en clandestin. C’est en juillet 1997
qu’on a retrouvé sa trace, trahie par ses propres troupes, qui le jugèrent et le condamnèrent à la réclusion à perpétuité.
Version désencyclopédique : « Après vingt ans de méditation, Pot rentre
en ville, affamé, et se fait interpeller par les gendarmes après avoir violé un sac de riz. La bête capturée, on prépare son procès pendant trois ans, et Pot engage une quinzaine d’avocats pour
se défendre, ses nombreuses victimes exigeaient qu’on le traîne au tribunal de La Haye. Finalement, le verdict tombe : il devra reposer son sac de riz là où il l’a
trouvé. ».
Il est mort le 15 avril 1998. Son corps a été incinéré avec des ordures et le lieu d’incinération continue à être une étape touristique
(ce qui est assez minable, il faut l’avouer). Pourtant, Pol Pot avait finalement réussi à vivre correctement après ses massacres. Cette ultime étape de sa vie ne doit pas faire oublier la longue
impunité dont il a réussi à bénéficier.
Version désencyclopédique : « Indigné par tant de sévérité, Pot meurt
d’une crise cardiaque avant qu’il ait pu faire appel. Il fut incinéré et devint ainsi un "Pol-Pot-au-feu". ».
Pour moi, Pol Pot est synonyme de Hitler, synonyme de Staline, synonyme de Mao, synonyme de Bokassa, synonyme d’Amin Dada, synonyme de
Pinochet. En fait, la liste serait certainement plus longue, mais c’étaient les noms qui revenaient régulièrement dans les années 1970.
Involontaire ?
Comment peut-on avoir eu l’audace de faire d’une marque bon enfant, d’une marque plaisante de compote pour bébé un jeu de mot
(que j’espère volontaire) avec l’un des pires dictateurs du monde contemporain ?
Je crains, hélas, que ce soit une coïncidence et que les personnes qui ont trouvé ce nom de marque ne sussent même pas qu’un Pol Pot
existait. C’est cela qui, en fait, me ferait le plus peur. Que l’horreur soit oubliée…
Je ne suis pas le seul à avoir fait le rapprochement puisqu’un inconnu a fait une page Facebook avec ce nom de marque… en y mettant la photo du dictateur
sanguinaire.
Entre la compote appétissante du bébé bouffi aux grosses joues et ce pâle et froid massacreur de peuple, une lettre les sépare. C’est un
peu dommage quand on sait que cette compote (au prix élevé) est devenue la pépite des parents pour faire manger des fruits aux tout-petits.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (19 mai 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Publicité télévisée du 10
février 2004.
Deux fois plus
d'apport en énergie que dans un fruit ?
Décencyclopédie.
Page Facebook.
Le meurtrier qui se cache (vidéo).
La mort du dictateur (vidéo).