Le cinéma à l’étranger est une curiosité que je ne peux m’empêcher de tester lorsque j’en ai l’occasion. Il y a quelques années, deux petites semaines en Californie m’avaient permis d’aller voir six films dans les salles de San Francisco et sa région. En 2009, mon séjour en Corée du Sud s’était soldé par deux visites dans les salles obscures de Seoul, pour découvrir les cartons locaux Haeundae et Take Off. Les vacances passent toujours trop vite, et me voici revenu d’un trop court périple irlandais qui m’aura conduit de Dublin à Cork en passant par le Parc National du Connemara et les impressionnantes falaises de Moher qui ont vu un Harry Potter et le cher Princess Bride de mon enfance se tourner.
De ce road trip se cristallisent déjà les souvenirs mémorables, dévaler les pentes d’une petite montagne embrumée et embruinée transi de froid, défier le vide de la côte ouest, chanter à tue-tête un tube de Boyzone des années 90 (vous savez, la chanson de Bean ?) sur une route déserte et tressautante de la campagne irlandaise, et goûter à la vraie Guinness irlandaise, la meilleure du monde dans un pub de la rive sud de Dublin selon un ami irlandais qui m’y a guidé.
Mais de cette escapade irlandaise, des images de cinéma sont rentrées en France avec moi. D’abord parce qu’elle m’aura permis de rencontrer enfin, en chair et en os, un de mes amis virtuels cinéphiles du bout du monde, de l’époque où je tenais une chronique hebdomadaire sur un site de cinéma américain. De cette époque s’est créée une communauté de cinéphiles des quatre coins du monde, mais surtout des antipodes et d’Amérique du Nord, qui depuis que le site d’origine n’existe plus se retrouvent sur un forum où nous avons perpétré nos débats parfois houleux mais toujours passionnés. Ce voyage en Irlande m’aura permis de rencontrer l’irlandais de la bande, au même titre que lui aura rencontré le français.
Arrivé à Dublin, un de mes premiers réflexes, peut-être parce que je n’avais que 48 heures à passer dans la capitale, fut de repérer les cinémas les plus proches. Après avoir un temps caressé l’idée d’aller voir un film à l’Irish Film Institute, en quelque sorte la Cinémathèque irlandaise, j’y ai renoncé lorsque j’ai constaté que, de Poetry à Beginners en passant par Arrietty, j’avais déjà tout vu. Dans les multiplexes du centre ville qui affichaient quasiment à l’unanimité des couleurs hollywoodiennes, les films qui s’offraient à moi étaient essentiellement des films déjà à l’affiche à Paris comme Cars 2 et Bad Teacher, ou certains qui allaient l’être d’un jour à l’autre, Captain America ou Bridesmaids notamment.
Mais quitte à aller au cinéma en Irlande, pourquoi ne pas se frotter au cinéma local ? L’offre n’est pas énorme, comme me l’a confirmé l’ami irlandais, et comme je l’ai constaté en cherchant en ville une salle programmant un film irlandais. Le choix était vite fait, un choix qui me satisfaisait tout à fait par ailleurs, puisque seul The Guard était visible pour ce qui était du cinéma Irish. C’est au cinéma Savoy sur O’Connell Street, à quelques minutes à pied de la guesthouse où je logeais, que je me suis donc engouffré lors de ma seconde soirée irlandaise. A la séance de 20h un lundi soir, le Savoy était loin d’être plein à craquer. Pas de queue à la caisse pour payer le plein tarif, un peu plus de 8 euros, nettement moins cher qu’un plein tarif de multiplexe parisien qui vaut aujourd’hui allègrement plus de 10 euros.
The Guard étant sorti depuis plusieurs semaines à Dublin, je m’attendais à le voir dans une petite salle face aux mastodontes hollywoodiens qui squattaient les autres écrans du cinéma. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je suis entré dans une salle qui à vue de nez pouvait accueillir facilement 400 spectateurs, au bas mot. Mais plus que la taille de la salle, c’était le rideau cachant l’écran qui impressionnait. Un rideau presque collé aux premiers rangs, immense, qui a fait douter l’adepte du cinquième rang que je suis (un de ces quatre, je vous parlerai de ma théorie du cinquième rang, qui peut se résumer par « c’est le meilleur d’une salle »). Tant et si bien que j’ai préféré m’asseoir au neuvième rang, et ceux qui ont l’habitude d’aller au cinéma avec moi savent comme cela me semble loin. Une fois assis, je pensais même être encore trop près. « Si derrière, l’écran est aussi grand que le rideau qui le cache, je suis encore deux ou trois rangs trop près ». Mais le temps que je réalise cela, c’était trop tard, les rangs derrière commençaient à être occupés, notamment deux rangs plus haut par une rangée de mangeurs de popcorns. Tant pis. Va pour le neuvième rang.
Avant que le gros des spectateurs ne rentre, j’ai pris le temps de prendre une photo de la salle (voir ci-contre). Une fois l’heure de la séance sonnée, le rideau s’est ouvert… et là, panique, chose tout à fait impossible, l’écran semblait encore plus grand que le rideau. « Mais c’est quoi cet écran ?! ». Je me serais cru dans une salle Imax, ce qui n’était pas le cas. Proportionnellement, l’écran était bien trop grand pour la taille de la salle. On aurait pu lui enlever deux bons mètres de hauteur, quatre ou cinq de largeur. Je comprends mieux pourquoi l’ami irlandais me disait qu’il se mettait toujours au fond de la salle au cinéma… si tous les écrans sont proportionnés ainsi à Dublin, c’est un coup à se choper une migraine du tonnerre.
Pendant les bandes-annonces du remake de Millenium par David Fincher (The Girl with the dragon tattoo) et de Tinker Tailor Soldier Spy, j’avais l’impression d’être assis au deuxième rang. Mais non, j’étais bien au neuvième. Je n’ose même pas imaginer l’expérience dans les premiers rangs. Un spectateur dublinois a même failli se la jouer « homme aux sacs plastiques » en s’installant directement au premier rang à droite… ce qui a fait paniquer son pote le rejoignant qui l’a fait reculer de quelques rangées. Heureusement, The Guard n’est pas un film à tituber de la caméra à la Tony Scott. La comédie policière irlandaise est plutôt du genre calme visuellement, ce qui me convenait parfaitement, étant donné la situation.
Brendan Gleeson y campe Boyle, un flic de campagne dans une bourgade aux accents gaëliques du Connemara. Pas très à cheval sur la loi ou les conventions, Boyle va voir le FBI débarquer dans la région pour suivre une enquête sur des trafiquants de drogue. Rustre sur les bords (et pas qu’un peu), Boyle est hermétique à une collaboration avec ce flic américain, mais il n’a pas franchement le choix. D’autant que derrière ses grimaces peu amènes, le bougre pourrait bien être plus intègre et malin que ses collègues.
Une fois lancé dans le film, le plus dur ne fut finalement plus de se faire à l’idée de voir les têtes de Brendan Gleeson et Don Cheadle bien trop grandes sur l’écran géant, mais plutôt de s’accrocher pour que mon oreille française anglophile capte bien toutes les subtilités du rugueux accent irlandais. Et ce n’était pas facile tout du long. Mais malgré quelques bons mots qui me sont bien passés au-dessus de la tête, le charme de la comédie de John Michael McDonagh n’était pas sans rappeler celui du film du frère du cinéaste, Bons baisers de Bruges de Martin McDonagh. Soit un cinéma où la bonne humeur cache en filigrane une mélancolie certaine, une amertume face à l’écrasement de l’intégrité par la corruption, un beau portrait de l’amitié lue entre les lignes (un peu de la même manière que dans The Trip de Michael Winterbottom sur ce plan-là). J’aurai certainement l’occasion de le revoir cet automne lorsqu’il sortira en France sous le titre L’Irlandais.
Et histoire de prolonger par procuration mon voyage en Irlande, je pourrai toujours, dans les jours qui viennent, aller voir Killing Bono dans une salle parisienne. Quelques jours après avoir vu The Guard à Dublin, un cinéma m’a de nouveau tendu les bras à Cork, sur les rives de la rivière traversant la ville. Je n’ai pas été loin d’aller y voir un blockbuster américain. Mais c’était le dernier soir en ville, le dernier soir en Irlande, et j’ai passé mon chemin. Le plaisir de voir un film chez les amis Irish était déjà accompli, de toute façon.