Dans cet article, Aymeric Pontier s’intéresse à une étude qui pointe la hausse frappante des notes à l’université aux États-Unis. Il n’y a pas qu’en France que « le bac ne vaut plus rien ». Pourquoi?
Les différences entre les peuples ou les pays sont au moins autant superficielles qu’innombrables. Elles font leur charme dit-on. Il en va de même des systèmes de notation scolaire. En France, on note les élèves et les étudiants de 0 à 20. Aux USA, on préfère utiliser les lettres de l’alphabet de A à F, de la meilleure note à la moins bonne. Voir le tableau de conversion.
Via le blog Economix du New York Times, je suis tombé sur une étude intrigante. Deux chercheurs de l’Université Columbia, Stuart Rojstaczer et Christopher Healy, ont collecté les données issues de nombreuses universités américaines et déterminé le pourcentage moyen de chaque grade de notation, au cours des 70 dernières années. Et ils se sont rendus compte que le nombre de notes A, la plus élevée, avait littéralement explosé depuis la fin des années 1960 : une augmentation de presque 30% ! Et ce, aussi bien dans les universités publiques que privées. De plus, le rythme semble s’accélérer : 12% d’augmentation des notes A depuis 20 ans…
Pour avoir le détail des données et des tableaux par université ou par discipline, voir ici.
Plus étonnant encore, contrairement aux idées reçues, les universités privées US ont tendance à distribuer des bonnes notes à leurs étudiants « plus facilement » que les universités publiques, à performance égale ! En 2008, les notes A et B représentaient 73% des notes données dans les universités publiques, contre 86% dans les écoles privées. Les auteurs sont catégoriques : ces distorsions ne sont pas dues à un travail de meilleur qualité de la part des étudiants.
Toute la question est de savoir pourquoi les universités US, publiques mais surtout privées, sont devenues aussi laxistes au fil des ans. Les chercheurs avancent plusieurs raisons.
Lorsque le phénomène de sur-notation a commencé à la fin des années 1960 et au début des années 1970, on était en plein milieu de la guerre du Vietnam. Donner de mauvaises notes aux étudiants pouvait conduire de jeunes hommes sur le champ de bataille, donc les professeurs ont pu être « incités à mieux noter » leurs élèves. D’ailleurs, cela semble être confirmé par le graphique plus haut, juste après la fin de la guerre du Vietnam (en 1975), les notes A sont reparties légèrement à la baisse pendant 10 ans, sans pour autant retrouver leur niveau antérieur.
Mais quelle explication pour la fulgurante hausse des 20 dernières années ? Les auteurs estiment que les universités ont distribué de meilleures notes principalement pour obtenir une meilleure réputation auprès du grand public et des services de recrutement dans les entreprises. Plus les étudiants ont de bonnes notes, mieux ils sont perçus par les entreprises, plus vite ils trouvent du travail à la sortie de l’université, et meilleures sont les statistiques des facs qui reçoivent ainsi plus d’étudiants et plus de donations les années suivantes…
À court terme, c’est du gagnant-gagnant pour les universités et les étudiants. Mais sur le long terme, évidemment, c’est désastreux. Les deux auteurs prédisent que le système de notation va devenir de plus en plus confus, si le phénomène persiste, au point où il ne sera plus possible pour les employeurs de distinguer les bons étudiants des étudiants médiocres. Le retour de manivelle risque de faire très mal. C’est pour cela que plusieurs universités, dont Princeton par exemple, se sont engagées dernièrement à lutter contre l’inflation des bonnes notes.
En faisant quelques recherches, je suis tombé sur cet article datant de 2005 d’une professeure de journalisme de la fac privée American University, expliquant qu’elle donnait de meilleures notes à ses étudiants suite aux harcèlements continus et répétitifs de ces derniers ou de leurs parents. Elle « céderait » à la pression en quelque sorte. Il pourrait donc s’agir d’une autre raison plausible : les étudiants américains n’hésiteraient plus à réclamer voire à exiger de meilleures notations auprès de leurs enseignants. Mais ceci dit, un prof qui donne de bonnes notes « pour faire plaisir » mérite-t-il de le rester ? En tout cas, la question mérite d’être posée…
Qu’en est-il en France ? Je ne dispose pas de données sur le sujet à vous présenter. Mais, vu les critiques récurrentes sur la « baisse de niveau » des jeunes diplômés français, je suppose que le même phénomène a lieu dans notre pays aussi. Sans doute pas pour les mêmes raisons exactement. Mais oui, c’est une réalité qui se perçoit de façon empirique.
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