Dans la Règle de Saint Benoit, il est dit ceci : "on choisira comme cellérier du monastère (ndr = trésorier) un des frères qui soit judicieux, sérieux, sobre, frugal, ni hautain, ni brouillon, ni injuste, ni négligent, ni prodigue, mais rempli de la crainte de Dieu, et qui soit comme un père pour toute la communauté [...] Il prendra un soin tout particulier des malades, des enfants, des hôtes et des pauvres, convaincu qu'au jour du jugement il devra rendre compte pour eux tous."
Cette règle du VIe siècle qui régit encore aujourd'hui la plupart des monastères occidentaux définit avec force la mission de celui qui aura la charge de l'argent de la communauté.
Alors que traders, analystes financiers et investisseurs paniquent et entrainent les bourses mondiales dans les bas-fonds d'un étrange capitalisme, les vieux conseils d'un saint sage peuvent nous éclairer : le cellerier doit être sobre, prendre soin et être rempli de la crainte de Dieu. Qu'est-ce que cela signifie?
Dans la chute actuelle des marchés, il y a de la raison et de l'émotion.
La raison nous dit que la croissance de nombreux pays ralentit, que la dette de nombreux pays est excessive, que la gouvernance de nombreux pays est médiocre. Bien que tout cela soit plus criant aujourd'hui, nous le savions déjà.
L'émotion, elle, ne nous dit rien. Elle nous aspire. Elle nous entraine dans un mimétisme dangereux. Elle nous pousse à l'égoïsme. Les marchés plongent parce que les marchés plongent. Les acheteurs n'achètent pas parce qu'ils pensent que cela va baisser. Les médias effraient parce que cela fait vendre. Les rapaces jouent parce qu'ils en profitent.
Il y a quelques minutes, Frédéric Oudéa, PDG de la Société Générale, était interviewé sur CNBC, la principale chaine de télévision économique aux Etats-Unis. Il tentait difficilement de rassurer les marchés sur la santé de sa banque dont le cours de bourse a été violemment attaqué sur fond de rumeurs. Ces rumeurs, peut-être alimentées par quelques mystérieux rapaces, disaient trois choses : 1- il paraitrait que la France perdrait sa note AAA; 2- il paraitrait que la Société Générale serait exposée dramatiquement aux pays à risque; 3- il paraitrait que son plus gros actionnaire, Groupama, vendrait toutes ses actions. A cela Frédéric Oudéa répéta à ses deux interviewers ce qu'il avait déjà dit au cours de la journée et ce que d'autres avaient déjà dit : 1- les trois agences de notation ont confirmé officiellement leurs notes AAA pour la France et n'ont aucune intention d'en changer; 2- la Société Générale est en excellente santé financière; 3- la rumeur sur Groupama est "stupide"... Pourtant, les interviewers ne l'ont pas lâché un instant comme s'ils ne voulaient pas le croire : "et si la France perdait sa note..."
L'émotion conduit souvent à des réactions irrationnelles. Je ne dirai jamais que les marchés ont tort de chuter quand l'économie montre des signes de faiblesse mais il faut parfois prendre le temps de la réflexion et ne pas chercher son seul intérêt personnel (à faire du buzz, à gagner sur le dos des autres, à se faire peur, etc.). Quand on s'occupe d'argent, on doit être "sobre", "prendre soin" des autres et avoir la "crainte de Dieu".
Les marchés ne sont pas Dieu. Bien-sûr ils peuvent détruire en quelques jours 900 milliards d'euros virtuels pour pousser les gouvernements à agir; leur pouvoir est colossal. Mais chaque financier doit justement se poser la question de son rôle réel.
Dans le précédent article de ce blog dédié à l'autre actualité (ici Londres), je parlais de vocation. La vocation de l'Homme, c'est la charité. La vocation du financier, c'est donc aussi la charité, comme n'importe quel homme. Son "soin des autres" est mis en exergue dans la Règle de Saint Benoit parce qu'il a un pouvoir, une responsabilité. Bien qu'il doive être sobre, il peut paniquer comme tout le monde. Mais il doit agir en charité. Est-ce le cas de tous ceux qui ont attaqué la Société Générale aujourd'hui?
La semaine dernière, j'évoquais la répartition du temps (il est temps). Un temps pour le travail, un temps pour le divertissement, un temps pour la prière. En sous-jacent, il y avait cette recommandation toujours d'actualité : mettons parfois l'émotion de côté et prenons le temps de la réflexion pour répondre à cette question primordiale : que faisons-nous de notre vocation?