A 93 ans, Stéphane Hessel est débordant de vie. On sent cet écrivain, dont la littérature a servi de référentiel idéologique à l'indignation Espagnole, vibrer à chaque mot qu'il prononce. On sent ses mains se crisper lorsqu'il dit "Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous, d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux. Quand quelque chose vous indigne comme j'ai été indigné par le nazisme, alors on devient militant, fort et engagé". Dans ces deux livres-références, Hessel, un vétéran de la résistance anti-nazie, a résumé toute sa philosophie d'une vie de lutte et d'engagement pour les Droits de l'Homme. Deux petits livres, le premier de 30 pages, le deuxième de 93, mais qui renferment une grande sagesse. Indignez-vous et ensuite Engagez-vous, dit-il, car il ne sert à rien de s'indigner si vous n'entreprenez aucune action pour changer votre présent et votre avenir.
Voici un de mes passages préférés: «Sachez que le courant de l'histoire doit se poursuivre grâce à chacun pour aller vers plus de justice et de liberté. Le pire des attitudes est l'indifférence. Dire: "je n'y peux rien, je me débrouille". Appelons-nous toujours à une insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation de masse, le mépris de plus faibles et de la culture, l'amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous".
Cette nouvelle forme de la Résistance doit être guidée par les jeunes car ils sont le plus à même de comprendre et de sentir les énormes écarts sociaux qui rongent le monde moderne, l'injustice politique, la prédation d'un système financier de plus en plus vorace, la détérioration de la planète…Ce dernier point est important. Hessel, qui a dédié une grande partie de son deuxième livre-interview, à la Terre insiste que l'avenir se base sur la construction de la conscience écologique. Il sait que cette conscience se construira maintenant ou jamais, lui qui a passé toute sa carrière dans les organismes onusiens qui ont une longueur d’avance sur l’avenir du monde. Comme il sait aussi que seule une indignation dans la Paix est bénéfique. Membre de la Commission qui a élaboré la Déclaration des Droits de l'Homme, il est convaincu que l'avenir appartient à la non violence, à la conciliation des cultures différentes.
Une jeunesse qui s'indigne est un motif de fierté et de bonne santé de l'Humanité. Encore faut-il qu'elle s'engage, c’est-à-dire qu’elle agisse pour le changement, en réfléchissant, en écrivant, en participant démocratiquement à l'élection des gouvernants que l'on peut espérer faire évoluer intelligemment les choses…bref, une action de très long terme. L'essentiel est d'entreprendre une action.
"Pourquoi cet engagement?", demande le journaliste à Stépahne Hessel. Ce dernier répond: "Je me considère depuis toujours comme socialiste, c'est à dire, selon le sens que je donne à ce terme, conscient de l'injustice sociale. Mais les socialistes doivent être stimulés. J'ai l'espoir de voir émerger une gauche courageuse, impertinente s'il le faut, qui puisse peser et défendre une vision et une conception des libertés des citoyens. De plus, il me semble important qu'il y ait des Verts dans les institutions, pour que la notion de préservation de la planète progresse".
Il fut un temps où on disait que la gauche n'a plus de raison d'être dans un monde capitaliste, mondialisé. On disait à l'époque que la gauche devait supprimer ses valeurs de lutte prolétaire ou….disparaître. Alors, on a entendu parler de la "social-démocratie", de la "gauche citoyenne"…autant d'appellations qui montraient que la crise identitaire de ce mouvement était viscérale.
La déclaration de Hessel montre que la gauche peut renaître de ses cendres si elle se focalise sur "l'injustice sociale" et si elle recouvre son impertinence d'antan…
Plus dans son livre, Hessel nous préviendra des dérapages d’un engagement naïf, idyllique ou sectaire. Pour lui, l’engagement doit aussi tenir en considération que le Global et le Local sont un tout et doivent être en équilibre. La vision du monde de demain comme un monde plus juste, plus soutenable, plus sage, ne peut être que globale. Mais la réalisation, l'action qui contribuent à un tel monde ne peuvent être que locales. «Ce qui serait dangereux, c'est que se multiplient des expériences locales en contradiction avec une vision globale et avec elle, de crispations identitaires, des sectes, des mouvements qui voudraient maintenir des privilèges".
Et pour éviter cela, il est souhaitable qu'il y ait des échanges, que les vieux apprennent comment les jeunes réagissent, et que les jeunes apprennent quelque chose de l'expérience des vieux. "Gare à l'avenir et vive l'avenir! Ne sous estimons pas les dangers, et sachons en même temps que tout danger peut être confronté et surmonté. Mais le pur "vive l'avenir, allons-y, on y va, ça ira forcément très bien", je m'en méfie".