La sortie de l’Euro, d’hypothèse invraisemblable, est devenu une possibilité de plus en plus difficilement évitable. L’économiste Jean-Jacques Rosa, dans un séminaire organisé par l’Institut Turgot, revenait sur les questions associées à la sortie de l’euro. Compte-rendu de la conférence, par l’excellent Institut Turgot.
Cette réunion avait été organisée à l’occasion de la sortie de son dernier livre : « l’euro : comment s’en débarrasser » (publié chez Grasset). Le résumé qui suit a été reconstitué à partir des notes prises par Henri Lepage pendant la réunion.
Compte-renduPour Jean-Jacques Rosa la création de l’euro représente la décision de politique économique la plus grave depuis les années trente.
Les attitudes vis-à-vis de l’euro évoluent rapidement. Il n’en reste pas moins que se pose la question : pourquoi l’ont- »ils » fait ? Pourquoi un tel consensus autour de l’acharnement à maintenir l’euro ?
L’intervention de Jean-Jacques Rosa était construite autour de trois thèmes : 1) c’était déraisonnable; 2) on nous dit qu’on ne peut plus toucher à l’euro car il est l’expression d’une volonté « politique » – qu’est-ce que « politique » veut dire ? 3) est-il possible de « sortir de l’euro » sans provoquer un naufrage complet ? son existence est-elle vraiment irréversible ?
La décision de créer l’euro a été une erreur. Pourquoi était-il déraisonnable d’instituer une monnaie unique ? La réponse est bien connue : parce que l’Union européenne ne constitue pas une zone monétaire « optimale » – au sens que Robert Mundell a donné à ce terme. La vérité de ce concept théorique est aujourd’hui parfaitement démontrée par les faits.
On nous a expliqué que si, au départ, la zone n’était pas vraiment « optimale », l’existence de l’euro devait néanmoins engendrer une dynamique qui allait contribuer à la rendre plus optimale. Ce n’est pas ce qui s’est passé, tout au contraire. Au lieu d’avoir convergence, nous avons assisté à un processus de « divergence ». Au lieu de favoriser l’essaimage des activités industrielles sur tout le territoire de l’Union, et de contribuer ainsi à une certaine homogénéisation des structures d’activités, c’est l’inverse qui s’est passé : le centre industrialisé a encore plus renforcé sa dominance industrielle au détriment des pays de la périphérie. Cette spécialisation à rebours a eu pour conséquence d’aggraver les divergences de conjonctures nationales en réponse aux chocs économiques, ce qui est exactement l’inverse de ce qui était attendu. Par ailleurs, l’euro devait apporter plus de croissance. Or depuis qu’il existe, la croissance est en moyenne plus faible qu’auparavant. Enfin on constate que la croissance était plus rapide lorsque l’euro était faible; ce qui contredit les théories qui vantent les avantages d’un euro fort.
Un choix « politique »
Lorsqu’on nous dit que si l’on a fait l’euro, c’est d’abord et avant tout pour répondre à des raisons « politiques » plus importantes que toute autre, qu’est-ce que cela veut dire ?
Le terme ‘politique’ est en fait un alibi généralement utilisé pour justifier un accroissement des activités de transferts, sachant que la préoccupation permanente des détenteurs du pouvoir politique est de rechercher la combinaison de clientèles électorales qui leur permet de le conserver.
L’euro n’échappe pas à cette loi. Quels sont les groupes politiques, sociaux ou économiques qui ont le plus à gagner à ce que l’on considère l’euro comme un choix irréversible ? et à veiller farouchement à ce que l’on ne revienne jamais dessus ? Il s’agit principalement d’une coalition qui regroupe, en gros, les pro-fédéralistes européens, le grand patronat, la classe politique et les hauts fonctionnaires.
Prenons la classe politique et les hauts fonctionnaires. L’instauration de la monnaie unique, la disparition des taux de change et le transfert de la politique monétaire au niveau européen servent leurs intérêts – et donc leur pouvoir – en renforçant le rôle national de la politique budgétaire. Par ailleurs, l’euro leur facilite le travail en fonctionnant comme une formidable machine à s’endetter. Prenons l’exemple de l’Espagne. En maintenant son taux d’intérêt à 2% pour l’ensemble des pays de la zone euro alors que l’inflation locale galopait à 6 % l’an dans la péninsule ibérique, la BCE a fait aux emprunteurs espagnols – à commencer par le trésor public – un formidable cadeau de 4 %. Résultat : d’un côté un gigantesque boom de l’immobilier espagnol et des activités qui l’accompagnent, mais aussi une irrémédiable destruction de la compétitivité industrielle du pays minée par la divergence croissante des coûts, et toujours plus d’excellentes raisons pour continuer à s’endetter à bon compte toujours davantage.
Un tel engrenage crée une situation sans issue. Mais une situation qui n’est pas sans avantage pour les grands emprunteurs structurels que sont l’État, les grandes entreprises, ou encore les grandes banques.
Attardons-nous un instant sur le cas des banques. Il y a une vingtaine d’années les progrès de la science financière et l’arrivée de nouveaux intermédiaires ont fait s’effondrer leur rentabilité. Pour y faire face les banques ont dû réinventer leur métier. Elles sont devenues des emprunteurs massifs exploitant à plein les effets de levier sur un marché de plus en plus international. De ce fait elles ont beaucoup gagné au passage à l’euro, parce que cela leur a permis de bénéficier de taux bas, mais aussi à cause de la disparition de tout risque de change. L’élargissement et l’accélération de la mise en place du programme de marché unique constituaient une menace pour les cartels qui, traditionnellement, dominaient l’activité bancaire en Europe. Paradoxalement l’avènement de l’euro les a soulagés. Avec une seule monnaie et sans variations de change entre les pays-membres il est en effet plus facile de surveiller les pratiques de prix des concurrents. Autrement dit, l’euro a non seulement permis aux banques de s’endetter massivement à bon compte, mais également de reconstituer leurs cartels. On comprend qu’elles y soient farouchement attachées, ce qui rend toute sortie de l’euro très difficile.
Le bon scénario
Tout ce qui est actuellement fait pour sauver l’euro ne sert à rien car le véritable problème est celui de la compétitivité sous-jacente des économies du sud vis-à-vis des autres pays. Pour régler ce problème il faudrait que ces pays acceptent de subir une formidable déflation pendant au moins une dizaine d’années. Mais une telle solution n’en est pas une car, compte tenu des nombreuses rigidités qui privent ces économies de toute flexibilité, cela conduirait inévitablement leurs dirigeants à devoir accepter de payer le prix d’une dépression longue et profonde. Ce qui est impossible à envisager, et fait donc qu’on est dans une impasse totale tant qu’on se refuse avec obstination d’envisager qu’un pays puisse sortir de la zone euro.
Compte tenu de cette équation, de telles sorties sont désormais inévitables. Toute la question est de faire en sorte que cela se passe dans les meilleurs conditions possibles. sans entraîner un effondrement général en Europe. Est-ce possible ?
La difficulté vient de la part d’endettement qui a été contractée vis-à-vis de prêteurs étrangers. Si le retour à une monnaie nationale s’accompagne d’une très forte dévaluation, et si le pays accepte de rembourser au pair sa dette extérieure en euros, rien n’est résolu car, même si sa compétitivité prix est rétablie, il se retrouve avec une dette encore plus lourde. Mais s’il décide unilatéralement de ne rembourser ses créanciers qu’en monnaie dévaluée c’est encore pire car on met alors la main dans un engrenage qui, en quelques années, par un phénomène de domino, de sanctions en mesures de rétorsion, risque de nous faire revenir à un véritable état de chaos généralisé en Europe.
Pour éviter ce scénario du pire, la solution, suggère Jean-Jacques Rosa, consiste à procéder d’emblée à une très forte dévaluation de l’euro, avant d’en sortir. Si l’on commence par dévaluer l’euro, il n’y a plus de problème car le retour à une monnaie nationale n’a plus besoin d’être accompagné d’une très forte dévaluation pour rétablir sa compétitivité nationale vis-à-vis du reste de l’Europe.
Une telle dévaluation de l’euro est-elle concevable ? Pourquoi pas. Après tout, dès le lendemain de sa création, l’euro est tombé à moins de 80 cents pour un dollar. Une telle perspective n’a donc rien d’extravagante.
Que va-t-il se passer ? Quel cours les événements vont-ils prendre ? C’est quasiment impossible à dire. La seule chose que l’on puisse affirmer est que chacun va autant que possible essayer de tirer son épingle du jeu en fonction de ses intérêts nationaux. Ce sont désormais les stratégies nationales qui vont primer, plutôt que les stratégies coopératives. Ainsi est-il désormais certain que la Grèce sortira.
Quant aux dirigeants politiques allemands et français, conclue Jean-Jacques Rosa, s’ils s’acharnent actuellement autant à vouloir sauver à tout prix l’euro et à dissuader la Grèce d’en sortir, c’est d’abord et avant tout à cause des prochaines échéances électorales, mais aussi parce qu’ils craignent par dessus tout le précédent que constituerait une opération grecque qui réussirait (à l’image de ce qui s’est passé en Argentine il y a quelques années) et qui constituerait un exemple de stratégie pour les autres pays du sud.
Vous pouvez également télécharger l’enregistrement audio de la conférence et de la discussion qui a suivi.
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