Du vacarme médiatique provoqué par Nicolas Sarkozy après les événements de Grenoble et de Saint-Aignan, et sa
réponse immédiate, brutale, au silence assourdissant, saisissant, après les rebondissements de la crise de la dette, il y a un gouffre coupable. Forcément.
Sélectionné et édité par Tristan Berteloot
Eté 2010, la France connaît de graves violences. C'est d'abord le quartier populaire de la Villeneuve à Grenoble qui connaît plusieurs nuits d'émeutes urbaines après la mort de l'un des braqueurs du casino d'Uriage-les-Bains, en Isère, poursuivis par la police.
Sarkozy lors d'un discours à Grenoble le 30 juillet 2011 Crédit: P. DESMAZES / AFP
La nuit suivante, c'est la gendarmerie du paisible village de Saint-Aignan, dans le Loir et Cher, qui est attaquée par les membres de la famille d'un jeune homme de la communauté des gens du voyage tué par un gendarme alors qu'il avait tenté de forcer un barrage routier deux jours plus tôt. Face à ces faits graves, la réaction du chef de l'Etat ne tarde pas. Elle est immédiate, déterminée et brutale. Le 21 juillet, Nicolas Sarkozy annonce la nomination d'un préfet "à poigne" pour l'Isère. À l'occasion de la prise de fonction de ce "super-flic" à Grenoble le 30 juillet, le président de la République déclare "la guerre aux voyoux, aux trafiquants et aux délinquants", dans un discours musclé qui marque un pallier dans la surenchère sécuritaire et répressive. Tout y passe : lien entre immigration et délinquance, stigmatisation des Roms, extension des possibilités de déchéance de la nationalité...
Le chef de l'Etat provoque l'hostilité de la Gauche, des centristes, des associations humanitaires, anti-racistes, de l'Eglise et réussit à mettre la France au banc des accusés de la scène internationale. Le pape, la commission européenne et le comité pour l'élimination de la discrimination raciale de l'ONU critiquent, à mots à peine voilés, la politique française.
Eté 2011, la crise de la dette s'amplifie en Europe
Après l'abaissement de la note de crédit des Etats-Unis, un vent de panique s'empare des marchés financiers et entretient la crainte d'un krach boursier et le risque d'une amplification de la crise de la dette en Europe.
Après la Grèce, c'est la crainte d'une extension de la crise de la dette à nos voisins italiens ou espagnols confrontés à de lourdes difficultés en termes d'endettement et de croissance qui l'emporte. Inquiets de leur solvabilité, les marchés pourraient renchérir le coût de la dette de ces deux Etats et le cercle vicieux s'enclencher : sans soutien, les finances publiques de ces Etats sous pression se dégradent, et leurs politiques budgétaires toujours plus restrictives brisent une croissance économique déjà trop faible.
L'effet domino est redouté. La France elle-même ne serait plus à l'abri face à des marchés pris de panique et dont la réactivité est désormais sans commune mesure avec celles des Etats et de leurs dirigeants. Face à cette situation extrêmement préoccupante, le chef de l'Etat, tout à sa "re-présidentialisation" et sa prochaine paternité, et par crainte qu'une intervention publique soit interprétée comme un signe de nervosité, choisit de ne pas s'exprimer publiquement. On attendrait au contraire de lui qu'il rassure le pays, qu'il donne un cap, qu'il appelle les Etats européens à agir ensemble plus vite et plus fort, qu'il mette l'Europe face à ses responsabilités, qu'il prenne un temps d'avance sur les marchés financiers. Il préfère se taire.
L'impuissance politique
Le contraste entre ces deux attitudes est saisissant. Il illustre à l'excès l'impuissance politique. Incapables de peser sur le cours réel des choses, certains responsables politiques démocratiquement élus en sont réduits à des gesticulations aussi graves qu'inefficaces. Bien évidemment, il n'est pas ici question de nier la gravité des émeutes de la Villeneuve ou des évènements de Saint-Aignan en 2010.
Chacun s'accordera pourtant à admettre que leurs conséquences sont sans commune mesure avec le risque de chaos financier, économique, social, et politique que porte en elle cette crise de la dette de 2011. Les citoyens ne sont pas dupes. Ils commencent à comprendre que les déclarations martiales, les coups de menton qui mettent à mal l'identité républicaine de notre pays ne visent qu'à masquer l'incapacité de celui qu'ils ont démocratiquement élu à agir sur la réalité. Cela n'a plus aucun effet sur la popularité du chef de l'Etat et n'enraye pas les échecs électoraux à répétition de sa formation politique.
La volonté politique de reprendre en main son destin
Dès qu'ils en trouvent la force, les peuples disent partout leur soif de fierté et de dignité, de volonté politique de reprendre en main leur destin. Dans ce contexte, la Gauche a une responsabilité historique majeure. La déferlante néo-libérale lancée dans les années 80 par R.Reagan et M.Thatcher a conduit nos pays dans l'impasse. La social-démocratie européenne notamment a plus ou moins tenté de résister dos au mur.
Elle a parfois succombé. Parce qu'en Europe notamment, la Gauche plus qu'ailleurs croit, malgré ses différences, à la régulation, à la puissance publique, aux protections individuelles et aux garanties collectives, à la volonté politique, il lui revient à elle – ici et maintenant - d'inventer un nouveau modèle de développement. L'heure des choix est donc venue : "l'audace ou l'enlisement" écrivait justement Martine Aubry récemment. Cela ne se fera pas sans heurts, sans accros, sans allers-retours. Il faudra du courage et des dirigeants qui, comme disait François Mitterrand "gardent la nuque raide quand ce qu'ils pensent et ce qu'ils font est juste".
Par Stéphane Troussel
Elu PS de La Courneuve
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