Conte soufi : Le doute

Publié le 10 août 2011 par Unpeudetao

   Muaviya, l'oncle de tous les fidèles, était dans son palais en train de dormir. Son palais était clos et les portes verrouillées. Il était impossible qu'un étranger puisse y pénétrer. Cependant quelqu'un toucha Muaviya pour le réveiller. Quand il ouvrit les yeux, il ne vit personne et se dit :
   “Il est impossible de pénétrer dans mon palais. Qui a pu faire cela ?”
   Après de longues recherches, il trouva quelqu'un qui se dissimulait derrière une tenture. Il lui dit :
   “Qui es-tu et comment te nomme-t-on ?
   - Le peuple m'appelle Satan !
   - Et pourquoi m'as-tu réveillé ?
   - Parce que c'est l'heure de la prière et qu'il faut que tu te rendes à la mosquée. N'oublie pas que le prophète a dit que la prière ne devait souffrir aucun retard.”

   Muaviya lui dit :
   “C'est étrange que tu invoques cette raison car jamais rien de bon n'est venu de toi ! C'est comme si un voleur venait en prétendant vouloir monter la garde !
   - Autrefois, répliqua Satan, j'étais un ange et mon âme se nourrissait de mes prières. J'étais alors le compagnon des autres anges et ceci est resté dans ma nature. Il m'est impossible d'oublier le passé !
   - Tu dis vrai mais il n'empêche que tu as barré la route à bien des sages. Tu ne peux pas être le feu et ne pas brûler ! Dieu t'a fait consumeur et quiconque t'approche est nécessairement brûlé. Ta prétendue sagesse ressemble au chant des oiseaux imités par des chasseurs.
   - Ôte le doute de ton coeur, dit Satan, je suis une pierre de touche pour le vrai et le faux. Je ne puis enlaidir ce qui est beau. Mon existence n'est qu'un miroir pour le beau et pour le laid. Je suis comme un jardinier qui coupe des branches mortes. L'arbre proteste : “Je suis innocent ! Pourquoi me détruis-tu ?” Et moi de répondre : “Ce n'est pas parce que tu es tordu mais parce que tu es desséché et sans sève ! Ta nature, l'essence de ta graine est mauvaise. Jamais tu n'as été croisé avec une bonne essence. Pourtant ta nature aurait tout eu à gagner si l'on t'avait greffé une bouture de bonne essence !”
   - Tais-toi ! s'exclama Muaviya, c'est en vain que tu tentes de me convaincre !”

   Il se tourna vers Dieu et dit :
   “Mon Seigneur ! Ses paroles sont comme un brouillard ! Aide-moi ! Il est très fort pour argumenter et je redoute ses ruses.”
   Satan dit :
   “Celui qui est pris d'un mauvais doute devient sourd devant des milliers de témoins. Ne te lamente pas devant Dieu à cause de moi. Pleure plutôt devant ta propre méchanceté. Tu me maudis sans raison mais tu ferais mieux de te regarder !”

   Muaviya de répondre :
   “C'est le mensonge qui fait naître le doute dans le coeur !
   - As-tu donc un critère pour distinguer le vrai du faux ?
   - Le vrai procure la paix du coeur mais le mensonge ne touche pas le coeur. C'est comme une huile qu'on a mélangée avec de l'eau : elle ne peut plus brûler. Dis-moi. Toi, l'ennemi de tous ceux qui veillent, pourquoi m'as-tu réveillé ? Réponds-moi et je saurai si tu dis vrai !”
   Satan tenta de se dérober mais Muaviya le pressa de s'expliquer et il finit par avouer :
   “Je vais te dire la vérité. Je t'ai réveillé pour que tu ne sois pas en retard à la mosquée. Car si tu avais été en retard, ton repentir aurait submergé l'univers. Les larmes auraient coulé de tes yeux et le repentir de quelqu'un qui fait de ses prières un plaisir est encore plus fort que la prière. Je t'ai donc réveillé afin que ton repentir ne te permette pas de te rapprocher encore de Dieu !”

   Muaviya s'exclama :
   “Maintenant tu dis la vérité ! Tu n'es qu'une araignée en quête de mouches. Et tu m'as pris pour une mouche !”.

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