Si l’armée est appelée la grande muette, la police mérite-t-elle d’être appelée la grande bavarde, comme le suggèrent certains quotidiens ce matin ? Libération explique en effet que suite à des « indications sur l’enquête » du Président de la République, Nicolas Sarkozy et de sa Ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie, les journalistes se sont mis à « harceler leurs contacts flics jusqu’à obtenir la date de l’opération ». De son côté 20minutes dans sa version papier explique que « pour la profession, l’opération était un « secret de polichinelle ». Une journaliste radio a indiqué à l’AFP avoir été avertie vendredi soir par un de ses contacts policiers. Pour Luc Bronner, du Monde rapporté par 20minutes, « certains habitants du quartier étaient déjà au courant. » et 20 minutes encore cite le syndicat de police Synergie pour qui « les journalistes ont leurs sources, et 1000 policiers [engagés], ce peut être 1000 possibilités de fuite. » C’est rassurant, et mieux vaut avoir affaire aux dangereux émeutiers de Villiers-le-Bel qu’à de dangereux terroristes. Bref à lire Libération, tout le monde se renvoie la balle, police, syndicats, gouvernement, et une enquête va être ouverte sur l’origine des fuites.
Cela laisse une étrange impression : mise en scène de l’opération, en période électorale ou incapacité à faire régner un peu d’ordre dans les rangs ? La déclaration de MAM pourrait porter à répondre les deux mon général, la ministre dénonçant les fuites, la médiatisation et les risques que la présence des journalistes faisait courir à l’opération, mais finissant sa déclaration sur le succès d’une « belle opération ».
La présence de journalistes jusque dans les cages d’escaliers dans une telle opération de police est-elle une garantie démocratique, témoin impartial de l’action de la police et de justice au terme d’une enquête approfondie, ou au contraire une instrumentalisation des médias par un pouvoir mettant en scène une action sécuritaire en banlieue trois semaines avant les municipales ? «En tant que journalistes, nous avions le devoir d’être présents, même s’il y avait manifestement une part de communication politique dans cette opération», déclare Luc Bronner cité par 20minutes.fr, qui ajoute qu’à Villiers «une grande tolérance était observée à l’égard des journalistes». Mais alors, pourquoi n’y a-t-il pas de fuites sur toutes les opérations d’envergure de la police ? Pour le terrorisme on le comprend, mais pour les trafiquants de drogue ou la contrefaçon par exemple ? Et à Villiers, ce n’était pas pour dela contrefaçon, le but était tout de même d’arrêter des “voyous ” qui “tirent sur des fonctionnaires” comme l’avait déclaré le Président de la République.
Finalement, ce qui me met mal à l’aise, c’est cet empressement des médias à couvrir l’événement, et à répondre à l’appel des « indicateurs ». Pour ne pas manquer une actu ? Une banlieue qui brûle le matin, ça aurait changé des banlieues qui brûlent le soir. Ainsi dans Libération on lit que si pour Marie-Thérèse de Givry, la procureure de Pontoise, « la crainte était que la présence de la presse n’alerte les objectifs précis qui avaient été déterminés.», la direction centrale de la PJ, prévenue d’«indiscrétions», redoutait de son côté que «les suspects l’apprennent et organisent des guets-apens». On joue peut-être un peu trop avec le feu en banlieue, qui tient la mèche et qui tient le briquet ? Toujours est-il que lors des incidents de Villiers-le-Bel, on avait noté deux éléments nouveaux. Le fait que les émeutiers étaient passé à un cran de violence supérieur, mais aussi le fait qu’ils s’en prenaient directement aux médias, assimilés à des auxiliaires des forces de l’ordre. Je ne suis pas sûr que l’épisode de lundi matin, conforte l’image des journalistes dans l’esprit des jeunes et des moins jeunes des quartiers. Finalement, Villiers-le-Bel risque de devenir un vraiment mauvais plan banlieue pour les médias. Dommage…
Jean-Paul Chapon
ps: pour éviter les commentaires inutiles, de me taxer d’angélisme, de soutien aux voyous, sur qui a tord, qui a raison, etc, je vous renvoie sur les notes publiées par Paris est sa banlieue au moment des émeutes de Villiers-le-Bel en novembre 2007
Banlieues, d’un novembre l’autre et Qu’attend-on pour fermer la fabrique à voyous