D'abord une vue de la situation. Après la mort d'un jeune homme (accidentelle ou non, l’enquête de police devrait le dire) au nord de Londres la semaine dernière, la marche organisée s'est transformée en émeute dans le quartier de Tottenham. Le deuxième jour, la violence a débordé sur les quartiers nord d’à coté, et même dans un quartier populaire au sud de la capitale. Puis hier ce fut le tour du sud de Londres avec Croydon, Ealing, Battersea, Clapham... et au bout de ma rue.
Je dois dire que c'est assez impressionnant (voir les vidéos à la fin de ce billet). De 21h à 23h, la police semble complètement absente. Une vingtaine de policiers tentent de bloquer les alentours de la station. Dans ma rue, un peu en retrait, je vois surtout des voitures qui déposent des jeunes encapuchonnés. En fait la plupart des personnes qui circulent sont en capuches. On entend des bruits de glace brisée. Mais on voit aussi des spectateurs (des voisins ?). Le grand magasin Debenhams (une sorte de mini Galleries Lafayette) est pillé ... Vers 22h des filles de 15-16 ans se retrouvent dans ma rue pour faire le tri de leurs butin : une dizaine de sacs à main et autres fringues. Les gars s'orientent plutôt sur l’électronique. Une voiture s’arrête, ouvre le coffre et deux gars en capuche filent dans un coin de la rue où ils avaient apparemment caché quelques écrans plats.
La violence semble pour l'instant uniquement orientée sur les biens matériels. Je n'ai pas senti d'animosité envers les passants (sur la première vidéo vous voyez d'ailleurs que le journaliste ne prend aucun précaution pour interpeler les pilleurs, filmer et même les provoquer). Il y a de nombreux observateurs, des résidents. Pas de panique.
La plus grosse déception pour moi : ils ont brulé le magasin de farce et attrapes où je m'approvisionne pour les soirées déguisées
Bon sinon, plusieurs choses : la télévision a tendance à dramatiser les évènements, notamment dû à la concurrence entre BBC News et SkyNews. Le journaliste de SkyNews présent dans le quartier (le seul d'ailleurs, la BBC préférant filmer le feu à Croydon) interpelle : "Est ce que vous êtes fiers de ce que vous êtes en train de faire ?". Quelle réponse attend il ? Une fille lui lance : "On est en train de récupérer nos impôts". Immédiatement, les réactions sur Twitter pleuvent : "ridicule, ces gens là ne payent même pas d’impôts" (pas si con en fait, c'est oublier que tout le monde, y compris les plus pauvres, payent la TVA !)
Pas d'excuses, jamais. Mais quelques raisons. En premier lieu le fait que depuis 3 ans les médias expliquent en gros que les riches ont pété les plombs, que pour sauver la finance (oui, les traders qui rouent en Porsche et gagnent en 1 journée le salaire d'1 an du citoyen moyen) l'Etat doit mettre la main à la poche. Et que maintenant que cela va mieux pour les banques, celles ci se sont retournées sur les Etats qui les ont aidées, pour leur demander d’arrêter de dépenser à tord et à travers et de se serrer la ceinture. Qui paye ? Les pauvres : 500 000 chômeurs en plus (on licencie fonctionnaires) ; suppression ou diminution des allocations ; moins de services publiques, on ferme des bibliothèques, surtout dans les quartiers défavorisés ; on augmente les droits pour les études...
Ce matin, la réponse du ministre de l’intérieur: En ce moment des policiers regardent les caméras de surveillance, afin d'identifier les pilleurs, et ça va chauffer !... Oui oui oui : ceux que j'ai vu avaient des masques et des cagoules... elle se fout du monde ?
Lorsqu'en février j’expliquai que c'était là l'idéologie du gouvernement britannique, sur le refrain de "ça passe ou ça casse", je ne croyais pas si bien dire. Depuis quelques mois les signaux économiques virent au rouge : le FMI explique au début aout que la croissance anglaise sera inférieure aux prévisions du gouvernement, au mieux de 1.5%. Cinq jours plus tard la banque d'Angleterre prévoit même un chiffre de seulement 1.3% (en baisse de 0.5 points par rapport à leurs prévisions du printemps).
"Le ralentissement de la croissance au Royaume-Uni pourrait mettre les plans du chancelier de réduction du déficit en péril par une baisse des rendements de l’impôt et une augmentation des allocations de chômage. [...] La Banque a récemment averti que la crise de la zone euro pourrait avoir un impact sur le Royaume-Uni, en particulier concernant l'incertitude sur le niveau des prêts octroyés par les les banques anglaises aux pays comme la Grèce. Les inquiétudes sur les Etats-Unis et de l'économie mondiale pourrait également avoir un impact sur le Royaume-Uni."
Bad luck Mr Cameron ! Mais le premier ministre n'est pas à court d'excuses (car bien sur sa politique ne peut pas être en faute):
- cet hiver les mauvais chiffres de l'économie étaient dus a... la neige (si si, suivez le lien
)! - au printemps, c'était la faute de... la pluie.
- fin avril début mai, la faute ... du mariage royal.
Nul doute que maintenant ce sera la faute des émeutiers...