Enfin, le 4 août, la commission des requêtes de la Cour de justice de la République a décidé ce qui était attendu, espéré depuis longtemps par ceux nombreux que les rapports de l’Etat avec l’Etat de droit ne laissent pas indifférents.
Il est réconfortant de constater que la presse nationale a tout de même pris la mesure du caractère explosif de ce dossier Tapie-Lagarde et qu’à l’exception du Parisien, elle a mis en exergue l’événement procédural d’hier. Mediapart, sur cette affaire, a durant des mois prêché et écrit quasiment dans le désert et le formidable travail de Laurent Mauduit, dont le service de la démocratie est le coeur, s’il a bénéficié parfois d’allusions ici ou là, est resté dans une ombre médiatique surprenante. A croire que les journalistes – je ne suis pas loin de le penser – ont l’investigation paresseuse et la lucidité égarée quant à la hiérarchie des sujets et des priorités (Le Monde, Le Parisien, Le Figaro, Libération).
Si cette focalisation, aujourd’hui, s’est opérée, c’est sans doute à cause de la nouvelle elle-même qui n’est pas neutre en République mais surtout parce que sa substance juridique et son poids judiciaire ne pouvaient manquer d’alerter même les plus négligents des observateurs. En effet, alors que Jean-Louis Nadal avait visé dans sa saisine l’abus d’autorité, la commission des requêtes, après un long et paraît-il houleux délibéré, a retenu au sujet de Christine Lagarde les infractions de complicité de faux et de complicité de détournement de biens publics.
Il est clair qu’au-delà de l’apparence technique, on est passé d’un délit sophistiqué, difficilement compréhensible et maîtrisable, à des accusations lourdes, ostensiblement humiliantes et assimilables dans leur portée par tout citoyen. Sur le plan international, ce n’est pas la même chose de se voir imputé le premier infiniment vague et complexe ou les secondes qui, pour être inscrites dans le champ national, auront évidemment des effets de dérision ou d’indignation sur les actions à venir de l’ancienne ministre. Comment Aurélie Filippetti peut-elle proférer cette ânerie que les entreprises et la légitimité internationales de Christine Lagarde ne seront pas affectées par le coup de tonnerre français (JDD.fr) ?
Cette double qualification infiniment offensante à l’égard de la directrice générale du FMI est, par ailleurs, redoutable sur le plan du droit parce qu’elle privilégie à juste titre, dans l’ensemble des agissements et des abstentions calculées de Christine Lagarde, l’élément de complicité qui en l’occurrence fait référence à de possibles instructions de celle-ci mais évidemment, au-dessus d’elle, du président de la République. Dans les présomptions dégagées par la commission des requêtes, non seulement on trouve la latitude d’incriminer tout ce qui, de près ou de loin, dans l’arrêt du processus judiciaire jusqu’au tribunal arbitral avec le scandale de la présence en son sein de Pierre Estoup et l’absence de recours contre cette gabegie programmée, a bénéficié exclusivement à Bernard Tapie mais aussi le risque d’une ouverture sur d’autres responsabilités que celle dont l’ancienne ministre est soupçonnée. La complicité constitue une donnée qui permet d’englober un système, un entêtement, une chaîne, une fraude dans toutes ses manifestations juridiques ou politiques. Elle autorise des développements que l’abus d’autorité n’aurait pas permis. Avec ce dernier, le président n’était pas obligatoirement montré. Avec les autres infractions, on le monte forcément en première ligne.
Je tiens pour rien, parce qu’il relève d’un rituel sans le respect duquel un avocat se sentirait décrédibilisé, l’optimisme de circonstance de l’ancien bâtonnier Yves Repiquet. L’intensité de ses protestations pour la façade n’occulte pas mais au contraire révèle, la gravité de ce sur quoi il y aura à enquêter (nouvelobs.com, Marianne 2).
Je ne voudrais pas que la décision capitale d’hier ressemble par certains côtés à ce qu’est trop souvent la loi dans notre démocratie : un coup d’épée dans l’eau, l’illusion d’une action. On a voté une loi et on serait tranquille pour la suite. Qu’on n’exige pas en plus de l’effectivité. Tout reste à faire. La commission d’instruction devra être saisie dans les plus brefs délais soit par Jean-Claude Marin en septembre après son installation soit, pourquoi pas, dans les prochains jours par Cécile Petit, rivale défaite mais assurant l’intérim à la Cour de cassation pour l’instant. Si le rythme ralentissait, force serait de s’inquiéter devant les efforts du politique pour réduire la portée, par tous les moyens officiels et officieux à sa disposition, de la décision du 4 août.
Dans le même registre, je suis étonné de lire depuis quelques jours une information qui n’est discutée par personne, selon laquelle la commission d’instruction travaillera durant des années et sera susceptible d’ordonner un non lieu. On sent comme une secrète jouissance collective derrière ce pessimisme. Pourquoi serait-il fatal qu’une affaire comme celle-ci, vieille de 19 années si on compte large, soit encore retardée par une instruction au ralenti ? Y aurait-il là encore un privilège du politique pourtant soupçonné du pire mais qui serait assuré de la sage et réconfortante lenteur des magistrats ? C’est le contraire qui devrait se produire. Ce dossier devrait enfin bénéficier d’un traitement à bride abattue. Il ne me semble pas que l’essentiel des éléments soit encore distrait de la curiosité publique et que le regard et l’analyse judiciaires aient besoin d’un temps interminable pour trancher dans un sens dont rien n’indique qu’il sera forcément favorable à Christine Lagarde. Il est incontestable qu’on va tenter de « jouer la montre » pour faire disparaître du champ républicain et du paysage judiciaire cette affaire qui, selon Christine Lagarde aujourd’hui moins assurée, n’avait « aucune substance pénale ». Il ne faudra pas baisser la garde.
Enfin, pour faire écho au 4 août mais sur le plan de la politique internationale et de la réputation de la France, comment ne pas renouveler l’expression de sa surprise devant la contradiction assumée et prévisible de ce duo portant, l’un et l’autre, dans des domaines différents, l’honneur de notre pays ? Qu’on apprécie ou non l’action durant ces derniers mois, du président de la République confronté avec d’autres chefs d’Etat à une crise financière loin d’être terminée et qui ébranle les bases du système mondial, force est d’admettre qu’il tient son rang, qu’il assume sa mission, qu’il stimule et demeure sur la brèche. De sorte que, opposants et partisans, personne ne peut lui dénier une énergie, une utilité, une présence qui favorisent la France. Pourtant, Christine Lagarde au FMI avec cette éprouvante épée de Damoclès sur son destin international et, par incidence, sur l’image de la France, c’est exactement l’inverse de l’aura présidentielle. Où est la logique quand on détruit en aval ce qui avait été inlassablement édifié en amont ?
Pas de vacances, en tout cas, pour l’Etat de droit.
par Philippe Bilger pour son blog « Justice au singulier »
Merci à Section du Parti socialiste de l'île de ré