ET non, je n’ai pas perdu mon interview de Gotan Project (j’ai dansé au bureau pour fêter la nouvelle!) et qu’avant que la flemme s’empare encore de mes dix doigts, je te fais partager !
Avant toute chose, il faut savoir que depuis mon débarquement dans le journalisme il y a un an et demi, cette interview est celle qui m’a fait le plus flipper. Je m’explique, j’ai grandi et muri « gymnastiquement » parlant avec Gotan Project. Comprend ceci, en GRS, mon déclic, je l’ai eu la première fois que j’ai dansé sur du Tango, il y a donc dix ans, c’est sur cette musique là que j’ai compris qu’on pouvait être sexy, sensuelle, et classe en même temps. C’est idiot à dire, mais pendant longtemps j’ai juste bêtement exécuté des chorégraphies sans vraiment les vivre, sans y mettre une âme…et puis…Gotan Project a, en quelque sorte révélé ce côté que je ne connaissais pas : l’expression du corps, vivre intensément une composition. On s’en fout qu’elle soit parfaite, si elle ne transpire pas la vérité et si elle ne fait pas ressortir ce qu’il y a dans ta tête et dans ton corps, alors c’est naze. Déclic. En quelque sorte.
Et à ce qui disent que le Gotan Project dénature le tango, je dirais tout simplement qu’il a fait évoluer le Tango, comme l’a fait dans le passé Astor Piazzola. Ignorer les techniques musicales modernes, c’est en quelque sorte s’enfermer dans le passé. Gotan fait le trait d’union entre la tradition argentine du Tango, et la musique actuelle : l’électronique. Et mine de rien l’heureux mariage ne bat pas de l’aile en dix ans, puisque aujourd’hui Gotan Project est au sommet. Retour sur une rencontre riche en instruction.
RocknFool : en dix ans Gotan Project est passé de groupe underground à groupe à succès, quel recul vous avez par rapport à ce changement de statut ?
Philippe : En réalité, ça ne s’est pas fait aussi vite, mais très progressivement. Il a fallu s’adapter un peu. Mais nous, on a gardé la tête sur les épaules.
Christophe : C’est pas un succès qui est arrivé quant on avait 20 ans. On n’avait quasiment le double. On avait vécu d’autre chose avant, d’autres succès avec d’autres formations. Ca permet de relativiser un peu les choses. Et puis Gotan Project vient de l’électronique. Il y avait une volonté dès le début de mettre l’électronique et la musique devant les artistes. Alors que lorsque tu fais du pop ou du rock, tu mets les artistes au devant, la musique les accompagne…Il y a une sorte de starification qui ne se fait pas trop dans la musique électronique, même si ça devient de plus en plus comme ça avec les DJs stars… Mais nous, on vient tout juste de mettre nos visages sur une pochette d’album, au bout de dix ans. Avant, tu ne pouvais pas voir qui on était, sauf si tu venais nous voir en concert. Il n’y avait pas vraiment une volonté de personnifier, on voulait vraiment que ce soit la musique qui passe en premier.
RocknFool : du coup, Gotan c’est du Tango ou de l’électro ? Ou est-ce que vous vous situez ?
Philippe : C’est assez curieux, peut-être parce qu’on n’aime pas trop se faire classer… au début c’est parti comme un projet plutôt électronique, aujourd’hui c’est un peu devenu un peu une branche du tango…Mais en fait, c’est une sorte de pop music je dirais. Je veux dire une musique populaire avec beaucoup de différentes influences. Donc c’est pas si facile à classer…Seulement pas dans World Music s’il vous plait !
Christophe : ou dans Lounge !
Rocknfool : Et à ce qui disent que vous dénaturez le tango argentin traditionnel vous dites quoi ?
Philippe : j’espère qu’on le dénature un peu ! Sinon à quoi ça sert de faire une nouvelle proposition musicale ? Non, bien sur qu’on ne veut pas dénaturer ce qu’il y a d’important dans le tango, son essence et ce qui est le véritable tango argentin au contraire. On essaie d’apporter une vision différente. De toute façon, la musique pour qu’elle évolue, faut bien la mélanger. Si elle reste en cercle fermé, si elle n’a pas d’autres influences, elle meurt. Ça devient de la musique classique…de la musique baroque… Le tango c’est déjà un mélange de culture, un métissage musical, on fait juste que continue juste le mélange. On amène notre vision. Le truc c’est que Christophe et moi nous ne sommes pas argentins, Eduardo l’est, et la plupart des musiciens qui nous accompagnent le sont…mais je pense que pour nous, il y a cette distance qui était nécessaire pour apporter quelque chose d’un peu différent.
Christophe : Et puis il y a quand même une sorte d’authenticité. Il y a avec nous des musiciens authentiques, des vrais tangueros, des maîtres de cette musique, et nous on connait bien la musique électronique. Donc, on fait aussi une musique électronique authentique. Ce n’est pas une sorte de recette un peu bidon.
Rocknfool : cet été, Gotan Project a été programmé dans beaucoup de festival, qu’est ce que donne votre set dans ces ambiances ?
Christophe : on adapte totalement nos sets, on ne peut pas jouer les mêmes chansons, à L’Opéra de Vienne et aux Francofolies. On fait des titres plus dansants. On ne peut pas faire des chansons plus douces et plonger les gens petit à petit dans nos ambiances. Là, ils ont déjà écouté pleins de groupes, donc il faut que ça dépote direct, sinon on les perd !
Philippe : Il y a toujours des projections. Je crois qu’on n’a jamais conçu un concert de Gotan Project sans projection. Parfois ça nous a causé des problèmes. Mais, pas d’écrans, pas de concerts ! La vidéo fait partie de notre langage. On essaie toujours de faire quelque chose de multimédia, ou le spectacle est à la fois audio et visuel.
Rocknfool : parfois, on peut entendre dire que l’éléctro est une musique un peu « froide », et difficile d’accès, Gotan Project a-t-il trouvé l’ingrédient nécessaire pour rendre l’éléctro « hot » ?
Christophe : Je suis déjà pas d’accord avec ça ! Je fais de la musique électronique depuis très longtemps et je ne l’ai jamais senti comme telle. C’est plutôt une musique abstraite, mentale parfois. C’est sans doute ça qui donne cette impression, mais c’est vrai que chez nous, la dimension tango amène un peu de chaleur. Et tout l’intérêt de Gotan Project, ce n’est pas d’amèner une froideur dans le Tango, mais plutôt de l’abstrait, ça permet de le sortir de son contexte très réaliste. Du coup on le ramène vers un côté un peu plus bucolique…pas rêveur, mais on le sort juste vers un domaine plus imaginaire.
Philippe : Et puis, avec Christophe, et même dans nos autres projets, on a toujours essayé de mélanger la musique électronique avec d’autres cultures. Et l’important avec Gotan Project, c’est qu’on tente d’apporter toute la charge émotionnelle que peut contenir le Tango dans la musique électronique. Elle peut dégager de l’émotion, cela dépend en vérité de qui est derrière la machine. Mais, le Tango en rajoute davantage.
Propos recueillis par Sabine Swann Bouchoul