Metropolis

Par Ledinobleu

Un siècle prochain. Ou peut-être maintenant. Les maîtres de Metropolis vivent dans la luxure et la débauche alors que leurs ouvriers se tuent à la tâche pour assurer leur bonheur. Freder, fils d’un dirigeant de la cité, tombe amoureux de la jeune Maria, venue de la ville ouvrière, qui prône la paix pour empêcher les travailleurs de se révolter. En tentant d’avertir son père de l’horreur quotidienne des ouvriers, Freder lui permet en fait de sentir la menace qui plane sur les maîtres de Metropolis. Le dirigeant décide donc d’agir…

Très peu de films s’avèrent plus importants que celui-ci dans l’Histoire de la science-fiction au cinéma. Prenant comme point de départ le roman homonyme (1926) de Thea von Harbou (1888-1954), Metropolis reste depuis plus de trois quarts de siècle un des plus grands chefs-d’œuvres du genre. Pour sa dimension artistique comme pour sa dénonciation de certains des excès de son temps, ce film compte aussi comme une des réalisations les plus abouties du cinéma tout court. Compte tenu de l’aspect monumental de sa production, d’ailleurs, il évoque sous bien des aspects ce que de nos jours on appelle un blockbuster : comme quoi, les budgets titanesques n’ont pas toujours servi qu’à faire du commercial – à moins qu’il s’agisse de l’exception à la règle…

D’ailleurs, si on mesure la portée d’une œuvre à son influence sur celles qui la suivent, alors Metropolis, avec son palmarès pour le moins imposant, s’affirme rien que pour ça comme une création de tout premier plan. Et que ces inspirations s’avèrent revendiquées ou supposées ne présente au fond aucune espèce d’importance : les idées ont ceci de particulier qu’elles importent plus que ce qui les susurre à l’oreille de celui qui les utilisera pour en faire quelque chose qui compte ; dans le cas de Metropolis, néanmoins, c’est l’occasion de mesurer combien ses images aux très nets accents expressionnistes surent faire mouche, mais aussi de voir comme son discours de fond resta longtemps vivace, pour ne pas dire franchement actuel.

Car à y regarder de près, les choses n’ont en fait guère changé depuis. Il suffit de remplacer la machine industrielle broyeuse d’hommes du film par la machine financière et toute aussi broyeuse de gens d’aujourd’hui pour obtenir un parfait portrait de notre présent. Il vaut d’ailleurs de rappeler que, sorti en 1927, Metropolis précédait de deux ans à peine la crise de 1929 qui, à travers la Grande Dépression qu’elle provoqua, contribua largement à plonger le monde dans l’abomination de la Seconde Guerre mondiale, celle dont le monde ressortit défiguré à jamais. Cette horreur aurait-elle pu être évitée si, comme ce film tente de le dire, les financiers d’alors avaient moins voulu de profits et mieux tenu compte des besoins humains de leurs ouvriers ? (1) Peut-être bien…

Pour autant, il ne faut pas voir dans la corrélation entre l’époque de la sortie de ce film et aujourd’hui un aspect visionnaire de Metropolis. Il se trouve juste que certains, il y a maintenant 30 ans, et pour éviter une crise dont au fond on ne savait pas grand-chose à l’époque, crurent bon de revenir vers une libéralisation totale des marchés qui, pourtant, avait bel et bien été interdite pour justement empêcher le monde entier de sombrer à nouveau dans le chaos. En fin de compte, la liberté totale semble encore un rêve inaccessible, ce qui surprend somme toute assez peu : liberté, après tout, est bien plus synonyme de « prends tes responsabilités » que de « fais ce qu’il te plaît » – en d’autres termes, on fait ce qu’on veut tant qu’on assume ses actes…

Pour cette raison, et en dépit d’une surface parfois un peu naïve, du moins pour ceux d’entre nous qui souffrent d’un cynisme assez malvenu de nos jours, Metropolis nous présente au final un discours éternel. Car cette lutte pour la liberté qui caractérise toutes les civilisations reste encore notre plus grand défi, même si le fracas des machines tend parfois à nous le faire oublier.

(1) une autre problématique elle aussi tout à fait d’actualité, comme le démontre très clairement Frans de Waal dans son tout récent essai L’Âge de l’empathie (Les Liens qui libèrent, 2010, ISBN : 2-918-59707-4).

Notes :

Au départ une production de 3h 30, Metropolis subit de nombreux vandalismes dans les divers pays où elle fut diffusée, dont certains la ramenèrent à un métrage normal d’environ 90 minutes. Pour cette raison, le travail de reconstitution du film prit de nombreuses années puisqu’il nécessita de retrouver et de restaurer de nombreuses séquences éparpillées aux quatre coins du monde.

La version restaurée actuelle, quasi intégrale, compte 145 minutes et fut projetée le 12 février 2010 à l’ancien opéra de Francfort, lors de la 60e Berlinale, accompagnée de la composition originale de Gottfried Huppertz interprétée par l’orchestre symphonique de la Radio de Berlin ; une diffusion eut aussi lieu sur la chaîne Arte. Il n’en existe à ce jour aucune édition DVD française à ma connaissance.

Si la première reconstitution effectuée par le compositeur Giorgio Moroder s’attira quelques virulentes critiques pour avoir non seulement colorisé le film mais aussi utilisé une bande son contemporaine, on ne peut négliger que ce travail représente un premier pas d’importance vers la version finale évoquée ci-dessus, ni peut-être même exclure qu’il s’agit du point de départ concret vers cette restauration complète…

Metropolis, Fritz Lang, 1927
mk2, 2008
120 minutes, env. 23 € l’édition collector double DVD

- la présentation de Bruno Icher chez Écrans.fr
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