Par Emmanuel Martin
Article publié en collaboration avec UnMondeLibre
À voir certaines réactions politiques on peut en douter. Beaucoup ont critiqué l’intransigeance des représentants libertariens américains durant les débats sur le relèvement du plafond de la dette, alors même qu’ils étaient les seuls hommes politiques à agir de manière responsable en refusant un compromis sur l’avenir du pays. De même certains politiques fustigent les agences de notation. Le Trésor américain a violemment critiqué la décision de Standard & Poor’s. En Europe, on veut une agence de notation publique, histoire qu’elle soit aux ordres. Encore une fois les hommes politiques veulent tout sauf la réalité ! Bien sûr ces agences ne sont pas simplement un thermomètre qui prend la température : elles l’ont souvent pris avec retard (les subprimes) et elles peuvent elles-mêmes causer la fièvre. Aujourd’hui, après leurs erreurs passées, elles soignent leur réputation auprès des investisseurs qui achètent leurs services. Par ailleurs, si l’impact de leur jugement s’avère si brutal dans la réalité, il faut blâmer les réglementations internationales de Bâle II (et Bâle III). Une réflexion sur d’autres voies, concurrentielles et non uniformes, de prise en compte du risque dans les bilans est ainsi plus que jamais nécessaire.
Le vieux réflexe de « restaurer la confiance sur les marchés » a aussi la vie dure. On peut comprendre la volonté d’éviter un nouveau septembre 2008. Pour autant doit-on continuer la même méthode « Greenspan » pour calmer les marchés à court terme ? Doit-on encore soigner des bulles par de nouvelles bulles ? Les marchés financiers sont le reflet d’une situation réelle, des sortes de messagers : s’ils n’ont pas confiance, c’est un signe qu’il faut changer en profondeur. Aujourd’hui, les corrections sur les marchés traduisent leur incrédulité – enfin ! – devant les solutions de court terme offertes depuis des années.
Face au mur de la dette, les décideurs politiques semblent laisser croire qu’ils prennent conscience de l’urgence. On promet ainsi des « règles d’or » sur l’équilibre budgétaire. Mais n’y avait-il pas en Europe les principes posés par Maastricht sur le déficit et l’endettement ? Pourquoi n’ont-ils pas été respectés ? Comment garantir alors que ces règles d’or sur l’équilibre budgétaire seront respectées ? Et surtout, l’équilibre budgétaire n’est qu’un problème subordonné à la croissance des dépenses publiques, qui est la source des déboires actuels, à laquelle il faut s’attaquer. Pour cela il faut revenir réellement aux fondements de la démocratie : lier les mains des gouvernants en matière de dépenses.
Les deux écueils de la démocratie moderne sont la tyrannie de la majorité ou de l’électeur médian et celui de l’élitisme technocratique. Le premier consiste à faire de la démocratie une machine à redistribuer des cadeaux pour satisfaire « la volonté du peuple » (élections obligent), au-delà de la capacité réelle d’une nation à se les payer. Dans ce cadre, l’enchevêtrement des niveaux de décisions politiques et des responsabilités dans le célèbre mille-feuilles administratif (dont la France est le symbole) a permis l’absence de reddition sérieuse de comptes et, logiquement, la multiplication des dépenses inconsidérées avec une institutionnalisation de la mauvaise gestion des deniers publics. Il faut donc trouver un moyen de limiter la possibilité de ce clientélisme, et ce, à plusieurs niveaux (local, régional, national et européen). Cela passe par une responsabilisation sérieuse du politique et une prise de conscience par le public que la politique n’est pas « l’art du possible ». Elle est celui de la redistribution (entre différentes catégories aujourd’hui, entre génération présente et future) ; avec une coûteuse commission au passage.
Le deuxième écueil est tout aussi dangereux. La crise de l’Euro a démontré le danger de la centralisation technocratique des décisions. Alors que quelques irréductibles avertissaient depuis une bonne quinzaine d’années des dangers d’une monnaie « constructiviste » comme l’Euro, et passaient pour des pestiférés aux yeux de l’intelligentsia, l’échec du projet de monnaie unique nous rappelle que les technocrates n’ont pas la science infuse, qu’ils ne sont pas omniscients et qu’ils font des erreurs. Des humains faillibles comme nous tous, en somme ; à ceci près qu’ils imposent ces erreurs à tout le monde en même temps, et qu’ils ne paient pas personnellement pour leurs conséquences. Là encore, la responsabilité disparaît. On parle beaucoup de « fédéralisme » en Europe en ce moment, mais dans le sens centralisateur : mettons nos dettes dans le même panier, harmonisons à tout-va. On ne saurait trop insister sur la nocivité d’une telle voie. Loin de ce Leviathan anti-démocratique, le fédéralisme doit au contraire permettre les libertés locales, et surtout responsabiliser chaque niveau de décision politique.
Revenir à la démocratie signifie assainir nos finances publiques de manière responsable, comme l’ont fait les canadiens ou les suédois dans les années 90 : chaque département de l’administration locale, régionale, nationale doit être évalué et amaigri s’il s’avère que des dépenses ne vont pas dans le sens de l’intérêt public. Certains « droits » catégoriels trop généreux doivent être supprimés. Revenir à la démocratie signifie clarifier à nouveau le lien entre dépenses publiques et impôt, de manière à ce que les citoyens voient ce qu’ils paient et les services qu’ils ont en retour, mettre un terme aux financements croisés, opaques, aux responsabilités diluées, aux dépenses de fonctionnement financées par l’endettement des générations futures. Le « nouveau monde » est une opportunité pour une réelle démocratie. Sans cela nous continuerons notre course folle toujours plus onéreuse, pour nos porte-monnaie et pour nos libertés.
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