Dans ce nouvel article consacré à la « désindustrialisation », thème qui lui est cher, Georges Kaplan traite de la réalité – ou plutôt l’absence de réalité – de ce phénomène, utilisé à tort comme argument protectionniste.
Par Georges Kaplan
Sur Atlantico.fr, Robin Rivaton attribue la fameuse « désindustrialisation » aux délocalisations et donc, à la mondialisation. Un petit détour par les faits s’impose.
D’après les chiffres de l’Insee, le poids de notre industrie manufacturière [1] est passé de 18% du PIB en 1970 à 8% en 2010. En 1970, ce secteur de notre économie employait environ 4,4 millions de personnes ; en 2010, ce chiffre est tombé à 2,3 millions – soit une chute de 48%. Voici donc pour les observations qui font penser et dire à certain que la liberté des échanges internationaux détruit notre industrie.
Voici quelques faits complémentaires.
De 1970 à 2010, après ajustement de l’inflation, la production et la valeur ajoutée de notre industrie manufacturière ont plus que doublé. En d’autres termes, si « désindustrialisation » il y a, cette dernière n’est que relative : notre industrie produit beaucoup plus qu’autrefois mais d’autres activités, en l’espèce les services, ont tout simplement progressé plus vite.
Autre remarque importante, ce phénomène de baisse du poids de l’industrie dans notre économie n’est pas récent. De 19,7% en 1960, le poids des branches manufacturières dans notre PIB baisse régulièrement depuis. Si le phénomène a été nettement plus marqué lors de la dernière décennie, il n’est pas nouveau pour autant. De la même manière, en matière d’emplois, le recul de l’industrie commence dans les années 1980 : par exemple, de 1980 à 1990, le secteur a « perdu » 754 mille emplois soit 15 mille de plus que ces dix dernières années.
Enfin – et je me base ici sur des données des Nations Unies – ce phénomène n’est pas spécifique à la France, ni à la zone Euro… Il est mondial. De 26,7% du PMB [3] en 1970, la part des industries manufacturières est tombée à 16,6% en 2009 – soit un recul de 10 points… comme en France. À moins donc d’accuser la concurrence déloyale d’une nation extraterrestre, il devient difficile d’accuser la mondialisation.
Alors quoi ?
Eh bien deux choses : la première s’appelle externalisation. C’est une des grandes mutations que les entreprises – notamment industrielles – ont connu ces dernières décennies ; elles se sont recentrées sur leurs métiers de base en confiant les tâches annexes à des entreprises spécialisées – et notamment des entreprises de services. Typiquement, si la propreté des sites industriels était autrefois assurée par le personnel des usines ; elle est désormais externalisée auprès d’entreprises spécialisées avec sa valeur ajoutée et son personnel.
Mais là n’est pas l’essentiel. Le véritable « coupable » c’est tout simplement le progrès technologique : en 40 ans, les industries manufacturières ont réalisé des progrès technologiques stupéfiants. Par exemple, en 1970, le salarié moyen de l’industrie française produisait l’équivalent de 74 000 euros par ans ; 40 ans plus tard, son fils produit plus de 273 000 euros – soit 3,7 fois plus. C’est donc avant tout l’automatisation des chaînes de production qui explique le recul des emplois industriels et c’est grâce aux gains de productivité qu’elle nous a permis de réaliser que la valeur réelle des biens industriels a également baissé. Depuis 1970, l’inflation qui touche les produits manufacturés en France est en moyenne de 3,2% contre 4,9% pour l’ensemble du PIB. C’est cette baisse de la valeur de la production qui explique le recul du poids de l’industrie dans notre économie ; c’est exactement le même phénomène que pour l’agriculture.
Si c’est là l’argument des tenants du protectionnisme, je crains fort qu’il ne soit urgent d’en trouver un autre.
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[2] Ces chiffres correspondent à la valeur ajoutée d’origine manufacturière rapportée au PIB en euro courants (i.e. aux prix de l’époque).
[3] Produit Mondial Brut.